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A.R.

12 juillet 2021

Décès de Yann Frémy

Yann Frémy bien connu des spécialistes de Rimbaud est décédé à Strasbourg le 5 juillet 2021 à l’âge de 49 ans.

Il avait soutenu sa thèse : L'énergie poétique : "Une saison en enfer" d'Arthur Rimbaud, en 2003 sous la direction du regretté Alain Buisine. Cette thèse a donné lieu à une publication en 2009 par  les éditions Classiques Garnier : « Te voilà, c'est la force ». Il était d’ailleurs devenu un spécialiste reconnu d’Une Saison en enfer. Ses nombreuses publications, interventions radiophoniques, vidéos peuvent être consultées sur le site du CERIEL. Sa carrière universitaire se déroulait à l’Université de Strasbourg où l’on devait lui confier à la rentrée une nouvelle charge d’enseignement. 

 La célébration des funérailles aura lieu le mardi 13 juillet 2021 à 10 heures 30, en l’église Saint-Martin de Noyelles-Godault.

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Docteur ès lettres

Agrégé de lettres modernes

 

Activités

2004-2015 - Ancien co-rédacteur en chef de Parade sauvage, revue d’études rimbaldiennes (Éditions Classiques Garnier)

2011-2016 Ancien co-rédacteur en chef de la Revue Verlaine (Éditions Classiques Garnier)

2006-2012  Co-directeur du séminaire annuel « Verlaine/Rimbaud » (organisé à l’Université Paris III-Sorbonne nouvelle et à l’Université Paris IV-Sorbonne)

Éditions

Rimbaud et Verlaine, Un concert d'enfers. Vies et poésies, Édition de Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi, Gallimard, coll. « Quarto », 2017

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Dictionnaire

Dictionnaire Rimbaud, sous la direction de Yann Frémy, Alain Vaillant et Adrien Cavallaro, Classiques Garnier, 2021, 888 p.

  

Ouvrages individuels

« Te voilà, c’est la force ». Essai sur Une saison en enfer de Rimbaud, Éditions Classiques Garnier, 2009.

Verlaine. La parole ou l’oubli, Academia, coll. Sefar, n° 5, 2013.

Mémoires inquiètes. De Rimbaud à Ernaux, Academia, coll. Sefar, n° 7, 2014.

Soleil froid et autres nouvelles, Louvain La Neuve, Éditions Academia/L'Harmattan, 2016.

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Direction d’ouvrages

« Forces de Verlaine », textes réunis par Yann Frémy, Revue des Sciences Humaines, janvier-mars 2007.

« Je m’évade ! Je m’explique ». Résistances d’Une saison en enfer, études réunies par Yann Frémy, Éditions Classiques Garnier, 2010.

« Énigmes d’Une saison en enfer »études réunies par Yann Frémy, Revue des Sciences Humaines, janvier-mars 2014.

Rimbaud le Voyant ?sous la direction de Yann Frémy, Francofoniastudi et ricerche sulle letterature di lingua francese, n° 72, Printemps / Primavera 2017.

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Émissions radiophoniques

19 mars 2018 : « Rimbaud philosophe. Vivre en enfer », entretien avec Adèle Van Reeth sur France Culture

Mars 2017 : « Arthur Rimbaud confession incandescente », entretien avec Jean-François Cadet sur RFI

Avril 2015 : « L’ivresse poétique : Rimbaud », entretien avec Adèle Van Reeth sur France culture.

Avril 2011 : « Faut-il être absolument moderne ? », entretien avec Raphaël Enthoven sur France Culture.

Avril 2009 : Interview with Yann Frémy about Rimbaud and Verlaine (French), Poet in the City, Londres.

Vidéos

Yann Frémy, « Il faut être absolument moderne : littéralement et dans tous les sens », communication présentée à l'Ecole Nationale supérieure de Lyon, Colloque : « Moderne / Modernisme. Qu’est-ce que la modernité en art ? » des 25 et 26 septembre 2019.

 

 

Journées d'études

Juin 2016 : « Questions d’herméneutique rimbaldienne », journée d’études organisée par Yann Frémy et Alain Vaillant avec le soutien de L’équipe PHisTeM (Poétique historique des textes modernes) du CSLF de l’université Paris Ouest, en partenariat avec la Maison de Chateaubriand.

Articles récents

« La forme et la matière. Sartre à la recherche de Rimbaud », in Rimbaud, Verlaine et zut. À la mémoire
de Jean-Jacques Lefrère, 2019, p. 239-255.

« Rimbaud, entre Matthieu, Michelet et la cathédrale de Strasbourg », in Le Chemin des correspondances et le champ poétique - À la mémoire de Michael Pakenham, sous la direction de Steve Murphy,Classiques Garnier, 2016.

« Fantaisie des masques & masques de la fantaisie chez Musset », Acta fabula, vol. 15, n° 9, Notes de lecture, Novembre 2014, URL : www.fabula.org/revue/document8958.php

« La force de l'archive », La Nouvelle Quinzaine Littéraire, n°1112, septembre 2014.

« Du déjà-vu et du déjà-là dans Nuit de l’enfer », Revue des Sciences Humaines, numéro consacré à Rimbaud, éd. Yann Frémy, n°313, 1/2014.

« Verlaine et les “voix d’Autrui” dans les Ariettes oubliées », Revue Verlaine, n°11, Classiques Garnier, 2013

« Les sophismes magiques dans Délires II. Alchimie du verbe », Magie et magies dans la littérature et les arts du XIXe siècle français, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2013.

« Mélancolie de Le Clézio : Rimbaud ou le personnage voyou de La Quarantaine », Cahiers le Clézio, n°5, 2012.

« La liberté dans le salut : un projet fondamental de Rimbaud », in Rimbaud « littéralement et dans tous les sens ». Hommage à Gérard Martin et Alain Tourneux, Classiques Garnier, 2012.

« Verlaine en train (de quoi ?). Essence et ironie dans Notes de nuit jetées en chemin de fer »Plaisance, revista di linguae letteratura francese moderna et contemporanea, n°23, 2011.

« Le dossier de genèse d’Une saison en enfer : pour un élargissement du corpus », in « Je m’évade ! Je m’explique ». Résistances d’Une saison en enfer, études réunies par Yann Frémy, Éditions Classiques Garnier, 2010

« L’inquiétude dans les Rythmes pittoresques de Marie Krysinska », Marie Krysinska. Innovations poétiques et combats littéraires, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2010.

« Rimbaud, entre Jean et d’Holbach. La genèse des Proses évangéliques », Europe, n°966, octobre 2009.

« Une saison en enfer, champ de forces », Magazine littéraire, septembre 2009.

« Toutes les formes de folie…  : enquête sur Une saison en enfer », Lectures de Poésies et d’Une saison en enfer de Rimbaud, Presses Universitaires de Rennes, 2009.

« Verlaine, entre Rimbaud et Longfellow : au sujet de la troisième ariette oubliée », Verlaine : reprises, parodies, stratégies, 2007, publié dans la rubrique « Colloques en ligne ». sur : www.fabula.org

« La cinquième ariette oubliée, entre mémoire et absence », Lectures de Verlaine : Poèmes saturniens, Fêtes galantes, Romances sans paroles, Presses Universitaires de Rennes, 2007.

« La Mort Verlaine : à propos de la section ‘Lucien Létinois’ dans Amour », Europe, avril 2007.

« L’urgence de la pensée : au sujet de La Bonne Chanson, VII », in Forces de Verlaine, textes réunis par Yann Frémy, Revue des Sciences Humaines, janvier-mars 2007.

 

Communications à des colloques et à des journées d’études 

Communication intitulée  «Images de Verlaine », présentée à l’Université Paris 13, le 29 mars 2016.  

Communication intitulée « Verlaine et les voix d’Autrui », présentée à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines à l'invitation de l'UPLS (Union des Professeurs enseignant les disciplines Littéraires dans les classes préparatoires Scientifiques) dans le cadre du programme des classes préparatoires scientifiques : « La parole ». 24 novembre 2012.

Communication consacrée à Verlaine au Palais du Sénat à Paris, le 19 mai 2012.

Communication intitulée  «Verlaine’s relationship with History and the notion of spleen », dans le cadre de la soirée d’études Rimbaud/Verlaine organisée par Poet in the City à Londres le 27 avril 2009, suivie d’une table ronde avec Graham Robb, Martin Sorrell, Dominique Combe et Yann Frémy.

« L’inquiétude dans les Rythmes Pittoresques », dans le cadre du colloque international « Marie Krysinska (1857-1908) », organisé le 14 et 15 novembre 2008 par Seth Whidden à la Bibliothèque Polonaise de Paris.

Communication intitulée « Une poétique de la force contrariée : analyse textuelle de la quatrième section de Mauvais sang », dans le cadre de la journée d’études Verlaine/Rimbaud, organisée le 15 mars 2008 par Yann Frémy et Seth Whidden à l’Université Paris IV-Sorbonne.

Communication intitulée « Verlaine, entre Rimbaud et Longfellow : au sujet de la troisième ariette oubliée », dans le cadre de la journée d’études Verlaine : reprises, parodies, stratégies organisée  le 6 décembre 2007 par Eléonore Reverzy au Palais Universitaire de Strasbourg.

Communication intitulée « Toutes les formes de folie : matériaux pour l’exégèse d’Une saison en enfer », dans le cadre de la journée d’études Verlaine/Rimbaud, organisée le 11 mars 2006 par Yann Frémy et Seth Whidden à l’Université Paris IV-Sorbonne.

Communication intitulée « Géographie et anomie dans Une saison en enfer », dans le cadre du colloque, Rimbaud : géographie et poésie, organisé par Pierre Brunel les 22 et 23 octobre 2004 à l’Université Paris-Sorbonne.

Communication intitulée « La lettre à Delahaye de mai 1873 : vers une poétique de l’Enfer », dans le cadre du colloque, Vies et poétiques de Rimbaud, organisé par Steve Murphy à Charleville-Mézières du 16 au 19 septembre 2004 à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance du poète.

Communication intitulée « L’urgence de la pensée : au sujet de La Bonne Chanson, VII », dans le cadre de la troisième journée du Séminaire Verlaine/Rimbaud qui s’est déroulée le 28 juin 2003 à l’Université Paris IV-Sorbonne.

Communication intitulée « L’éthique de Rimbaud » présentée le 4 janvier 2003 au Procope, à l’invitation des Amis de Rimbaud.

Communication  intitulée « La lettre du 24 mai 1870 : une multiplicité de contextes », dans le cadre du colloque, Rimbaud : textes et contextes d’une révolution poétique, organisé par Steve Murphy à Charleville-Mézières du 13 au 15 septembre 2002.

 

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26 juin 2021

La famille Rimbaud rue de Bourbon en 1860

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En 1860 la famille Rimbaud s’installe rue de Bourbon. Selon Claude Jeancolas Madame Rimbaud détestait cette rue où elle avait trouvé un logement au 73. C’était, précise-t-il, une rue populaire et crasseuse, un milieu qu’elle ne souhaitait pas à ses enfants. Le premier juin 1860 naissait Isabelle Rimbaud. (La photo de la rue de Bourbon en tête de notre article est extraite du livre Passion Rimbaud de Claude Jeancolas)

Des informations inédites sur la famille Rimbaud en 1860 ont été révélées par un message anonyme sur Les Poètes de sept ans.

Ces documents sont accessibles au public et proviennent de diverses archives que nous avons pu identifier et commander. Cependant, avant d’en publier des images qui demandent des autorisations longues à obtenir nous pouvons en donner la description. 

Auparavant, Il est utile de montrer l’acte de naissance d’Isabelle Rimbaud (qui est en ligne aux archives des Ardennes). On observe qu’un certain Gérard-David Bailly âgé de soixante dix-huit ans ancien menuisier et domicilié à Charleville a signé comme témoin de la naissance.

 

Isabelle Rimbaud

 

 

L’une des informations la plus importante est celle d’un recensement effectué à Charleville en 1860. On voit d’abord que la famille Rimbaud est recensée au 73 de la rue Bourbon qui s’appelait rue de Bourbon à l’époque. Frédéric le fils est indiqué à l’âge de six ans ce qui prouve que le recensement a été fait avant le 2 novembre date à laquelle Frédéric aurait eu 7 ans. Arthur n’y est pas mentionné car les recensements ne mettaient pas les enfants de moins de 6 ans. Le père de Rimbaud y figure.

 

recencemment 1

recencement 2

 Le même recensement nous indique que la famille Bailly habitait au 55 rue Bourbon à moins de 10 numéros de la famille Rimbaud. Cette famille Bailly comportait le père qui a signé comme témoin de la naissance.

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 Mais de plus grâce à un acte de baptême d’Isabelle Rimbaud on voit que la marraine d’Isabelle est Eléonore Bailly. On voit aussi que Frédéric Rimbaud qui n’avait que 7 ans le 12 juin 1860 était le parrain et qu’il a signé de son écriture enfantine.

isa

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Dans le recensement de 1860, Éléonore Bailly est repasseuse et âgée de 46 ans.

 Grâce à ces archives nous pouvons en tirer quelques informations.

 On apprend donc que Madame Rimbaud avait des amis dans une famille voisine. Ces gens étaient d’origine modeste. Le père était menuisier et ses deux fils avaient choisi le même métier. Il avait deux filles l’une sans profession et l’autre repasseuse. Ces amis étaient suffisamment convenables pour Madame Rimbaud pour choisir le père comme témoin de la naissance d’Isabelle et la fille comme marraine.

 Pour le choix de la Marraine il est probable que Madame Rimbaud la fréquentait à la messe. Les Bailly devaient être catholiques. On peut s’étonner que Madame Rimbaud n’ait pas eu d’autres amis à Charleville que des voisins pour choisir le témoin et la marraine. On a pu dire que Madame Rimbaud déménageait souvent et se fâchait avec tout le monde. Le père d’Isabelle n’était pas témoin de la naissance alors qu’il figure au recensement de 1860.

 La présence du père de Rimbaud rue de Bourbon au recensement de 1860 semble montrer que la séparation des époux n’était pas effective à ce moment-là. Cependant son absence comme témoin de la naissance de sa fille et à l’acte de baptême montre qu’il était parti avec son régiment.

 On voit donc que les possibilités que nous offrent les archives permettent à des chercheurs inspirés de donner des détails biographiques inédits. 

 Cependant il ne faut pas croire que ces précisions biographiques permettent d’expliquer par exemple Les Poètes de sept ans. N’oublions pas que Rimbaud vient d’écrire peu avant : « Je est un autre ». Ce n’est plus lui qui s’exprime mais le Voyant. Si des informations biographiques semblent crédibles il faut être très prudent. Je ne crois pas comme Alain de Mijola que Rimbaud ait mordu les fesses des petites filles de sa rue. Néanmoins des recherches sont en cours pour rechercher des petites filles de huit ans rue de Bourbon …

Note (premier juillet) : On peut voir sur le recensement de 1860 qu'au 12 rue Napoléon se trouve toujours Prosper Letellier libraire. Le 12 rue Napoléon est le lieu de naissance de Rimbaud.

 

prosper

 

 

 

 

5 juin 2021

Quelques remarques sur Les Poètes de sept ans

Sans titre 5

Les Poètes de sept ans est un long poème de Rimbaud de 64 alexandrins. En voici le texte : 

 

Et la Mère, fermant le livre du devoir,

S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,

Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,

L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

 

Tout le jour il suait d'obéissance ; très

Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits

Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.

Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,

En passant il tirait la langue, les deux poings

À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.

Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe

On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,

Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été

Surtout, vaincu, stupide, il était entêté

A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :

Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet

Derrière la maison, en hiver, s'illunait,

Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne

Et pour des visions écrasant son œil darne,

Il écoutait grouiller les galeux espaliers.

Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers

Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,

Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue

Sous des habits puant la foire et tout vieillots,

Conversaient avec la douceur des idiots !

Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,

Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,

De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.

C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

 

A sept ans, il faisait des romans, sur la vie

Du grand désert, où luit la Liberté ravie,

Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait

De journaux illustrés où, rouge, il regardait

Des Espagnoles rire et des Italiennes.

Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,

- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,

La petite brutale, et qu'elle avait sauté,

Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,

Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,

Car elle ne portait jamais de pantalons ;

- Et, par elle meurtri des poings et des talons,

Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

 

Il craignait les blafards dimanches de décembre,

Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,

Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;

Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.

Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,

Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg

Où les crieurs, en trois roulements de tambour,

Font autour des édits rire et gronder les foules.

- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles

Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,

Font leur remuement calme et prennent leur essor !

 

Et comme il savourait surtout les sombres choses,

Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,

Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,

Il lisait son roman sans cesse médité,

Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,

De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,

Vertige, écroulements, déroutes et pitié !

- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,

En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile

Écrue, et pressentant violemment la voile !

 

Les Poètes de sept ans ne comporte qu’une note assez brève dans la dernière Pléiade que nous reproduisons ici : 

 

« Rimbaud contribue à son propre mythe en jetant un regard autobiographique, avec 10 ans d’écart, sur l’éveil précoce à la poésie. Il partage avec son enfant poète le rapport à la mère(V.1-4,28) l’agressivité dans la relation amoureuse, la perception panthéiste de la nature ( V.52-54), le sens de l’ennui dominical(v.44)de la solitude et de la différence. »

 

Si tous les commentateurs admettent la nature biographique du poème, on est en droit de se demander pour quelle raison Rimbaud qui a 16 ans choisit de se présenter à l’âge de sept ans. Si le poème est vraiment biographique il faut savoir que c’est à cet âge que Rimbaud rentre en 9ième à l’intistution Rossat et que sa mère aménage rue Bourbon dans un quartier pauvre où logeaient des ouvriers. Sept ans, c’est aussi l’âge de raison que Rimbaud a nommé dans sa Saison en enfer : 

 

« Reprenons les chemins d’ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l’âge de raison-qui monte au ciel, me bat, me renverse me traîne. »

 

Ce vice comme on l’a déjà dit pourrait être l’homosexualité considérée précisément comme un vice à l’époque de Rimbaud. Cependant l’homosexualité n’apparaît pas dans le poème. Au contraire l’enfant marque une attirance pour les filles. Celle de huit ans et les espagnoles et italiennes des revues illustrés.

Dans le poème on a voulu voir la masturbation dans l’expression «  les deux points à l’aine », ainsi que l’expression « âcres hypocrisie ». Ce n’est pas certain malgré l’assurance de certains commentateurs.

 

Dans un autre ordre d’idée, j’ai déjà indiqué que « le livre du devoir » pouvait être la grammaire du père de Rimbaud ce qui fait que ce père absent serait tout de même présent par l’intermédiaire de ce livre. C’est en effet au moment où Rimbaud va avoir sept ans que son père se sépare définitivement de sa mère.

 

Cela dit, il faut être prudent et ne pas tout ramener à une glose biographique. Ainsi Alain de Mijolla pense que la fille des ouvriers auxquels le jeune poète mord les fesses est un jeu érotique inventé par Rimbaud: «  quand on sait l’isolement auquel furent longtemps condamnées les enfants Rimbaud, la fréquentation d’une voisine, fille d’ouvriers de surcroit, apparait hautement improbable. Cf : L’ombre du capitaine RimbaudLes visiteurs du moi, « Les belles lettres », Paris 1981. Indépassable étude psychanalytique. Lorsque Rimbaud écrit qu’à sept ans il n’aimait pas Dieu on sait que ce n’est pas vrai car à cet âge il était catholique fanatique. Comme dans la Saison en enfer on est en présence d’une biographie fictionnelle.

 

Mais il y a un autre élément qui a une très grande importance pour ce poème : Il est inséré dans une lettre à Paul Demeny du 10 juin 1871 qui suit d’environ un mois la fameuse lettre du Voyant qu’il lui avait adressée. Le poème est daté dans la lettre du 26 mai 1871. Les Poètes de sept ans intervient donc après la révolution poétique que réclame Rimbaud. Dans cette période qui précède l’arrivée de Rimbaud à Paris le poète cherche à être publié. On sait que Rimbaud espérait que Demeny le publie à la Librairie artistique. C’est pour cette raison qu’il lui avait communiqué une liste de poèmes à Douai en 1870. Demeny n’avait pas donné suite pour cette publication. Cette fois Rimbaud tente à nouveau d’intéresser Demeny. Il lui demande de détruire son ancienne production pour bien montrer que seuls ses nouveaux poèmes ont de la valeur. Comme dans la lettre à Banville de Mai 1870, où il espérait être publié au Parnasse contemporain, il donne trois poèmes dont le premier-Les Poètes de sept ans- porte en en tête : À Monsieur Paul Demeny Les deux autres poèmes sont Les Pauvres à l’église et Le Cœur du pitre. À la fin de la lettre pour flatter son destinataire il demande un exemplaire des Glaneuses recueil poétique que Demeny avait publié à la Librairie artistique. Il ne faudrait pas comme on a l’habitude de le faire sous estimer la Librairie artistique. La preuve en est, comme je l’ai signalé dans une récente communication que Demeny avait publié en 1870 un ouvrage de Philippe Burty qui était un critique d’art très connu à l’époque.

 

Je ne crois pas que Les Poètes de sept ans soit destiné précisément à Demeny. Peu de temps après Rimbaud enverra à Banville le fameux poème Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, mais celui-ci  est personnel. Les Poètes de sept ans ont vocation à être publié.

 

Le poème adressé à Banville était daté symboliquement du 14 juillet. On peut se demander si la date du 26 mai que Rimbaud a mis à la fin du poème n’a pas aussi une valeur symbolique. Le 26 mai se situe deux jours avant la fin de la semaine sanglante.

 

Les Poètes de sept ans est un chef-d’œuvre des vers de 1871. Il semble à première vue d’une lecture facile mais il cache encore bien des mystères.

26 mai 2021

Les saisons de Rimbaud

Les actes du colloque « Les saisons de Rimbaud » qui s’est déroulé les 16 et 17 mars 2017 à la Maison de la recherche à Paris sont enfin publiés et peuvent être commandés à partir du 9 juin (et non le 26 mai comme annoncé) en écrivant à : administration1@éditions- hermann.fr. Prix : 29,50 euros. Pages 338.

À ce jour les éditions Hermann qui publient les actes ne mentionnent pas les communications. Voici la table des matières pour information. Annonce du livre sur le site des éditions Hermann.

Table des matières 

Abréviations .............................................................................................................. 

Avant-propos. Du nouveau sur Rimbaud ? ............................................ 

par Michel Murat 

I. Périodisation et terminologie. Mes saisons de Rimbaud.13 

par Hermann H. Wetzel 

II. Rimbaud et le GradUs ad parnassUm....................................................27 

par Romain Jalabert 

III. Rimbaud lexicomane..................................................................................47 

par Andrea Schellino 

IV. Philippe Burty, témoin de Rimbaud................................................61 

par Jacques Bienvenu 

V. Simplicité de Rimbaud (à propos des vers de 1872)...............71 

par Henri Scepi 

VI. Fantaisie et satire : autour du Coeur Supplicié  .........................91 

par Yves Reboul 

VII. Sur les contributions de Rimbaud à l’Album zutique....117 

par David Ducoffre 

VIII. Le corps du gamin.................................................................................157 

par Jean-Baptiste Baronian 

IX. Quelques hypothèses sur la « magie » de Rimbaud............167 

par Annick Ettlin-Lauper 

X. Rimbaud « mage ou ange » .................................................................... 187 

par Jean-Luc Steinmetz 

XI. L’écriture du mythe chez Rimbaud.............................................197 

par Giovanni Berjola 


XII.
 Une variante de « Nuit de l’enfer » 
.......................................... 209 

par Aurélia Cervoni 

XIII. Une « prose de diamant » : formes et valeurs
de la prose dans U
ne saison en enfer .............................................. 221 

par Jean-Nicolas Illouz 

XIV. La « boue rouge et noire », ou Rimbaud chiffonnier ... 237 

par Antoine Compagnon 

XV. « Mon sort dépend de ce livre » :
vie et art dans U
ne Saison en enfer…………………………………………..251

 par Yoshikazu Nakaji 

XVI. Rimbaud « moderniste »....................................................................267 

par Dominique Combe 

XVII. Mythe ou allégorie dans Une Saison en enfer...................279 

par Eric Marty 

XVIII. La réception de Rimbaud
dans le moment textualiste
...............................................................287 

par Laurent Zimmermann 

XIX. Les Illuminations en hauteurs……………………………………………….301

 par Adrien Cavallaro 

XX. Rimbaud dans la base de données Data.bnf.........................323 

par Didier Alexandre 

25 mai 2021

Compte rendu du colloque "Les saisons de Rimbaud", par Jacques Bienvenu

Le colloque « Les saisons de Rimbaud » qui s’est déroulé les 16 et 17 mars à la Maison de la recherche à Paris a été pour les rimbaldiens, à plus d’un titre, un événement considérable.
Michel Murat, dans une belle introduction de cette manifestation, posait la question de savoir s’il serait possible, après tant d’études, publications, de commentaires, de trouver encore du nouveau sur Rimbaud. Les  deux jours que nous avons vécus à Paris marquent précisément, à mon sens, un nouveau départ de la critique rimbaldienne. 
La première originalité de ce colloque est d’avoir donné la parole à des non-universitaires. Pour commencer, on citera Alain Tourneux. Après trente-cinq années passées au musée Rimbaud, il est le nouveau président des Amis de Rimbaud et aussi le directeur de la revue Rimbaud vivant qui renait de ses cendres et qui sera, nous l’espérons, l’organe de ce renouveau critique. J’appelle les chercheurs à y participer. Jean-Baptiste Baronian, maître d’œuvre du Dictionnaire Rimbaud, mais aussi écrivain, a donné l’une des communications les plus riches du colloque. Pour ma part, je me suis exprimé dans une intervention sur un témoin du poète. 
La seconde originalité de cette manifestation est d’avoir invité des universitaires qui ne sont pas des spécialistes de Rimbaud. Dans cet ordre d’idées, on retiendra la prestigieuse intervention d’Antoine Compagnon professeur au Collège de France. Eric Marty, spécialiste de Proust, a pu développer des idées originales sur le poète des illuminations.Toujours pour les non-spécialistes, Didier Alexandre a analysé les p
ossibilités de recherches numériques de la Bibliothèque nationale qui montrent notamment la croissance constante des publications rimbaldiennes au fil du temps.
À présent, il faut parler des nouveaux spécialistes de Rimbaud. Peut-on parler d’une relève ? Les jeunes chercheurs pourront-ils apporter autant que les « vieux de la vielle » ? Eh bien, on en est convaincu quand on a écouté les communications de Romain Jalabert, Andréa Schellino, Aurélia Cervoni qui ont su, images à l’appui, analyser des documents et en tirer de fascinantes conclusions. Parmi les jeunes, il faudra compter avec Adrien Cavallaro qui est un vrai spécialiste de Rimbaud et dont la communication nous a séduits. David Ducoffre, qui a publié de nombreux articles sur ce blog, a fait une intervention sur l’Album zutique dont il est incontestablement le meilleur connaisseur actuel. Parmi « les vieux de la vieille », il faut citer  Yves Reboul qui a su replacer Rimbaud dans son temps et les organisateurs du colloque qui ont  présidé leurs séances et qui ont animé les débats nombreux et riches. On a beaucoup apprécié la présence et la communication de Jean-Luc Steinmetz, personnage considérable de la recherche rimbaldienne.
Enfin, il faut signaler la parfaite organisation, l’absence d’incident même minime, la grande courtoisie des intervenants. Toutes les communications ont été de qualité et il faudrait citer ici l’ensemble des participants. On comprendra  que la manifestation « Les saisons de Rimbaud » est une réussite remarquable. Il faut en remercier les quatre organisateurs, Olivier BivortAndré Guyaux, Michel Murat et Yoshikazu Nakaji qui ont su mener  à bien ce projet. Des actes seront publiés et on mesurera à ce moment l’importance des « saisons de Rimbaud ».
Note concernant Alain Tourneux :  la presse rend compte en ce moment du rôle qu’il a joué pour l’achat de la maison de Roche par Patti Smith. Précisons que cette maison n’est pas celle de Madame Rimbaud dont il ne reste qu’un mur. Voir par exemple sur le site observer : « The president of the International Association of Friends of Arthur Rimbaud, Alain Tourneux, personally contacted Smith, knowing she might be interested in maintaining the historic house, Artnet said. »
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22 mai 2021

Le passage de Rimbaud et Verlaine à Charleroi en 1872, par David Ducoffre

Sur la seule foi du recueil Romances sans paroles qui égrène une série de stations dans des villes belges, tous les biographes admettent sans hésitation que Verlaine et Rimbaud, après avoir quitté Paris le 7 juillet 1872, se sont donc rendus directement à Bruxelles, en s’accordant au préalable deux escales précises à Walcourt, puis Charleroi. Ils seraient ensuite demeurés deux mois dans la capitale, avant de partir pour l’Angleterre en passant par Malines, sauf que le départ n’eut lieu qu’en septembre et point en août comme il semble indiqué par la datation du poème homonyme. Le point de vue a donc été nuancé en ce qui concerne Malines, ville située à peu de distance de Bruxelles. En revanche, l’idée d’un trajet rapide en ligne droite de Paris à Bruxelles en passant par Walcourt et Charleroi est demeurée le modèle de compréhension sine qua non pour la période du 7 à la mi-juillet. Certes, un billet de Verlaine à son ami Edmond Lepelletier semble confirmer l’idée de multiples escales à ce moment-là :

 

 

Mon cher Edmond,

Je voillage vertigineusement. Ecris-moi par ma mère, qui sait à peine « mes » adresses, tant je voillage ! Précise l’ordre et la marche. Rime-moi et écris-moi rue Lécluse, 26. – Ça parviendra – ma mère ayant un aperçu vague de mes stations… psitt ! psitt ! – Messieurs, en wagon !

Ton P. V.

 

Mais les adresses ne sont sans doute pas celles que l’on imagine. Les changements de direction concerneraient plutôt les étapes françaises du voyage. Qui plus est, si la mère de Verlaine pouvait être au courant de passages à Arras et Charleville, villes où l’un ou l’autre poète avait des attaches, et si elle avait nécessairement connaissance de la destination bruxelloise, on ne voit pas très bien comment elle aurait été tenue au courant d’arrêts imprévisibles dans les villes de Walcourt ou Charleroi. Verlaine n’avait aucun moyen de préciser à l’avance une adresse d’hébergement dans des villes qui lui étaient inconnues. Et puis, comment madame Verlaine aurait-elle pu envoyer du courrier à son fils, lors de simples escales ? Verlaine enverrait une lettre de Charleroi, ou mieux de Walcourt, à son ami Lepelletier, pour que celui-ci écrive à l’adresse de la belle-famille de Verlaine, mais à l’intention de madame Verlaine, laquelle ferait enfin repartir le courrier pour on ne sait quelle adresse provisoire de Verlaine en Belgique, sans se demander quand la réponse parviendra ! Cela ne tient pas la route. La lettre de Verlaine est pour partie fantaisiste et exagérée. Madame Verlaine ne pouvait que tout simplement envoyer la lettre de Lepelletier à Bruxelles. En jouant les mystérieux, notre poète a égaré les biographes qui ont confondu second et premier degré.

Mais il y a pire. Rimbaud et Verlaine n’ont guère eu le temps de faire une escale à Walcourt et Charleroi entre le 7 juillet, date de leur départ, et le 22 juillet, date d’arrivée de Mathilde à Bruxelles pour voir son mari. En effet, d’une part, nous savons que Rimbaud et Verlaine ont mis quelques jours pour traverser la frontière belge, et, d’autre part, la rencontre des époux Verlaine s’explique par un échange de courriers qui suppose donc une installation bruxelloise précoce. Ceux qui ne sont pas indifférents à ces problèmes de logique se contenteront peut-être de considérer paresseusement que les deux compères ont pris le train pour Bruxelles, mais que, entr’aperçue de la fenêtre d’un wagon, la ville de Charleroi a bien pu inspirer spontanément un poème à Verlaine. Qui plus est, pour deux alcooliques, Walcourt serait une excellente idée d’étape entre la frontière ardennaise et la capitale belge. Ne rions pas : c’est la thèse banale et elle a été reconduite par Jean-Jacques Lefrère dans sa biographie Arthur Rimbaud, parue en 2001. Voici sa version du trajet et nous aimerions en connaître la source si bien informée :

 

[…] les deux bourlingueurs « férus d’une mâle rage de voyage » prirent un train pour Bruxelles dans la première gare de village qu’ils rencontrèrent après la frontière. Ils passèrent par Walcourt et Charleroi, ces noms de localité qui sont aujourd’hui des titres de poèmes.

 

Le chapitre XIII de cet ouvrage, intitulé Deux spectres joyeux, nous fait le récit du séjour belge de 1872. D’après les témoignages, Rimbaud et Verlaine ont disparu dans la matinée du 7 juillet, mais ils n’ont pris le train pour Arras qu’à la nuit venue, « vers dix heures du soir » (dixit Verlaine dans Mes prisons). Le 8 juillet, ils ont passé une journée mouvementée à Arras, laquelle journée est racontée de manière sibylline par Verlaine dans son volume biographique Mes prisons. On ne saura jamais pour quelles raisons précises les deux poètes, tout de même complètement saouls, ont été emmenés à la gendarmerie : les archives ont refusé de parler. Toujours est-il que l’adulte et le mineur ont été réexpédiés dans un train pour Paris. Finalement, ce n’est que le 8 juillet au soir que les deux poètes quittèrent effectivement la capitale française pour la Belgique. Nous avons déjà perdu un jour !

Mais, il convient encore une fois d’être plus nuancé. Le 8 juillet au soir, nos deux poètes ont pris le train pour Charleville, la ville du poète adolescent. Ils se seraient rendus chez leur ami commun Bretagne, celui-là même qui semble les avoir mis en contact auparavant. Pierquin a prétendu livré les confidences de Bretagne à ce sujet. Après une journée de beuverie, donc le 9 juillet, les deux poètes seraient partis à pied de nuit et ils auraient ainsi traversé la frontière vers trois heures du matin, le 10 juillet, « à Pussemange, premier village belge, à 15 kilomètres environ de Charleville » (Mercure de France, mai 1924). Selon Pierquin toujours, il s’agissait d’éviter les « gares de la frontière » et les « douaniers indiscrets ». Le beau-frère posthume de Rimbaud, Paterne Berrichon, a d’ailleurs témoigné en ce sens. La mère d’Arthur aurait eu vent de la rencontre du 9 juillet des deux poètes avec Bretagne, et elle aurait même interrogé celui-ci.

Toutefois, ce témoignage n’est ni précis, ni fiable. Nous n’avons connaissance de poursuites entamées à la demande de madame Rimbaud qu’à partir du 6 août, 18 jours après la rencontre bruxelloise de Verlaine avec Mathilde. Il s’agit de la lettre bien connue du commissaire en chef de police de Bruxelles à l’administration de la Sûreté publique, celle qui comporte, dans la marge, l’ajout au crayon rouge « a été franc tireur » à propos de Rimbaud, ainsi qu’un résumé du procès de Verlaine l’année suivante :

 

Bruxelles, le 6 août 1872, Monsieur l’Administrateur, J’ai l’honneur de vous envoyer la lettre d’un sieur Rimbaud de Charleville, qui demande à faire rechercher son fils Arthur, qui a quitté la maison paternelle en compagnie d’un [biffé : jeune homme] nommé Verlaine, Paul. Il résulte des renseignements recueillis que [biffé : le jeune] Verlaine est logé à l’hôtel de la Province de Liège rue du Brabant à St Josse-ten-Noode, [biffé : la demeure de Rimbaud n’a pas été découverte, il est cependant à supposer qu’il habite avec son ami quant au n(omm)é Rimbaud, il n’a pas été annoncé jusqu’ici à mon administration.] »

 

Cette lettre confond « V. Rimbaud » avec un homme et les biographes admettent mollement que madame Rimbaud a eu connaissance du passage de Rimbaud à Charleville le 9 juillet et a interrogé Bretagne sur sa destination tout aussitôt, ce que cette lettre n’établit pas. Madame Rimbaud a très bien pu apprendre la nouvelle fugue de son fils suite à une lettre anonyme postérieure au séjour bruxellois de Mathilde autour des 21 et 22 juillet, sinon suite à la lettre de Verlaine à Mathilde où il communique son adresse. Les ratures de cette lettre bien postérieure au 9 juillet soulignent avec insistance le statut d’homme marié de Verlaine. Le document précise encore que seul Verlaine est localisé, ce qui coïncide étrangement avec la rencontre seul à seule ménagée par Verlaine avec sa femme. La mention corrompue du nom de l’hôtel où est descendu Verlaine (Hôtel de la province de Liège à Grand hôtel liégeois) fait songer à la déformation banale d’un témoignage privé, quand la personne qui reçoit le message ramène l’information à son champ de connaissances. En effet, si la source avait été d’emblée le fait d’un enquêteur, les chances de corruption du nom eurent été moindres. Les sources d’information de madame Rimbaud, puis du commissaire, provenaient sans doute toutes deux de l’entourage de la famille Mauté. Le témoignage de Berrichon pouvant avoir pour objectif de détourner l’attention d’un épisode de calomnie vécu par Vitalie Rimbaud, contentons-nous donc d’accepter de prendre au sérieux la seule allusion à une étape carolopolitaine avec séjour chez Bretagne.

Dans un tel cas de figure, Rimbaud et Verlaine n’ont franchi la frontière que le 10 juillet à trois heures du matin. Ils ont déjà deux journées de beuverie derrière eux. Vu la somme d’événements qui ont nécessairement précédé l’arrivée de Mathilde le 22 juillet à Bruxelles, il faut donc considérer que Rimbaud et Verlaine, qui avaient sans doute besoin aussi de repos, se sont arrêtés à Walcourt. D’après le poème de ce nom compris dans les Romances sans paroles, les deux poètes auraient alors profité d’un troisième jour de guindaille consécutif ! Puis, ils se seraient arrêtés dans la ville ouvrière de Charleroi, ce qui laisse supposer à tout le moins qu’ils prirent le temps d’une visite. Va-t-on croire que Rimbaud, qui seul connaît alors l’endroit, a communiqué à un Verlaine bien calfeutré dans son wagon toutes les idées nécessaires à la composition d’un poème bien senti au sujet d’une telle ville industrielle, pleine de souffrances modernes ? Aucun biographe n’a jamais tenté d’expliquer ces deux escales entre la frontière (près de Pussemange ?) et Bruxelles, ni par des changements de train imposés, ni autrement. Mais, ce qui est certain, c’est que, dans de telles conditions, Rimbaud et Verlaine ne seraient parvenus à Bruxelles au mieux que le 12 juillet. Dès lors, comment est-il possible qu’entre le 12 et le 22 juillet, plusieurs courriers aient été échangés entre les époux Verlaine ? Le service postal au dix-neuvième siècle ne supposait-il aucun jour de délai ? Dur à croire. Or, une partie du témoignage de Mathilde a été négligée par ce chapitre XIII de Lefrère. Dans son écrit Mémoires de ma vie, la femme de Verlaine précise qu’elle a reçu une première lettre déjà très assombrie de son mari, puis une seconde quelques jours après. Et elle cite des passages de ces deux lettres ! Et il ne faut pas oublier que Mathilde nous apprend que Verlaine est entré en contact avec des réfugiés communards à qui Rimbaud plaît beaucoup, information tout de même fondamentale. Mathilde a ensuite envoyé un télégramme à Verlaine pour annoncer sa venue et elle a pris le train avec sa mère le soir du 21 juillet. Informé à temps, Verlaine a quitté sa chambre d’hôtel pour une autre de manière à éviter une rencontre entre épouse et amant. Il a simplement laissé un billet à sa femme pour permettre des retrouvailles le 22 à huit heures du matin. En à peine dix jours (les trains de nuit sont matinaux), il nous faudrait admettre les envois et réceptions de deux lettres et d’un télégramme, plus une prise de contact rapide avec le milieu des réfugiés communards qui a dû précéder l’envoi de la seconde lettre, puisqu’elle en parle. Si cela reste matériellement possible, il devient de plus en plus évident que les stations à Walcourt et Charleroi furent brèves. Au vu des courriers échangés, il est même fort plausible que Rimbaud et Verlaine sont plutôt arrivés à Bruxelles le 11 juillet, sinon le 10. Mais cette probabilité n’a pas pesé parce qu’il a été considéré comme d’emblée nécessaire de réserver un sort au témoignage du recueil Romances sans paroles qui évoque une succession d’étapes du type Walcourt, Charleroi, Bruxelles, Malines. L’idée qui s’est imposée, c’est que Verlaine et Rimbaud, n’ayant fait que passer à Walcourt et Charleroi, ont séjourné deux mois à Bruxelles. C’est encore une fois la thèse reprise par Lefrère, même si celui-ci arrive à accepter que, pourtant, la mère de Verlaine a eu une impensable vague idée des adresses d’étapes plus que succinctes des deux poètes à Walcourt et Charleroi :

 

[…] Elisa Verlaine était au courant du voyage et de ses étapes.

Rimbaud et Verlaine allaient séjourner près de deux mois à Bruxelles. Ils logèrent, au moins dans les premiers temps, au Grand Hôtel liégeois, 1, rue du Progrès, à l’angle de cette rue avec la rue des Croisades et la place des Nations (aujourd’hui place Rogier). Verlaine connaissait déjà cet hôtel très proche de la gare du Nord, situé à la lisière de la commune de Saint-Josse-ten-Noode : il y était descendu avec sa mère en août 1867 lorsqu’il était allé saluer Victor Hugo […]

 

En réalité, Elisa Verlaine ne pouvait guère connaître que deux étapes du voyage, l’étape à Arras et le point de chute à Bruxelles. Rien ne permet d’affirmer qu’une étape à Charleville ait été initialement envisagée après un passage à Arras. De manière imprévue, les deux poètes ont été refoulés dans le Pas-de-Calais. Personne ne peut dire le temps qu’ils comptaient y demeurer. Ils auraient pu y séjourner quelques jours, comme ils auraient pu gagner directement la Belgique et non Charleville la nuit venue. A partir de là, puisque les lignes de chemin de fer pour Bruxelles ne sont pas les mêmes selon qu’on part d’Arras ou de Charleville, on ne voit pas au nom de quoi madame Verlaine aurait eu connaissance d’escales projetées à Walcourt et Charleroi, à moins de considérer que le passage à Charleville était prévu et donc nécessaire. Mais, dans ce dernier cas de figure, il n’en reste pas moins que, d’une part, l’incident d’Arras a probablement faussé les prévisions en termes de dates de passage, et que, d’autre part, Verlaine, à son époque, n’a pas pu utiliser internet pour cerner un endroit où loger et puis pour réserver sa chambre dans chacune de ces villes qui lui étaient inconnues. Pourtant, les biographes des deux poètes placent implicitement toutes les escales supposées du voyage sur un même plan d’importance, ce qui n’est pas très cohérent. En réalité, seule la section de Paysages belges des Romances sans paroles témoigne d’un passage des deux poètes dans les villes de Walcourt et de Charleroi, cependant que la lettre citée plus haut de Verlaine à Lepelletier ne dit pas un mot de ces deux villes, encore moins que sa mère est au courant d’adresses en Belgique. Elle savait pour Arras, elle savait pour le Grand hôtel liégeois à Bruxelles, et c’est probablement tout. Elle n’avait aucune raison d’être au courant pour une courte étape improvisée à Charleville, et rien ne prouve que nos deux poètes ne se sont pas rendus directement à Bruxelles, une fois la frontière traversée. Ils ont pu voyager à Walcourt et Charleroi, un peu plus tard !

L’échange de courriers entre les époux Verlaine rend toutefois improbable l’idée que les poètes aient quitté une première fois Bruxelles avant le 22 juillet, jour où Mathilde a embarqué ou su entraîner son mari jusqu’à la frontière. Rappelons que, dans Romances sans paroles, si Walcourt est daté du mois de « juillet 1872 », Charleroi ne l’est pas ! Les trois poèmes bruxellois sont en revanche datés du mois d’août, ainsi que Malines. Voilà qui est étrange. Alors qu’un poème bruxellois de Rimbaud est intitulé Juillet, ce qui correspond très probablement à sa période de composition, Verlaine n’a daigné témoigner de sa présence dans la capitale belge que pour le seul mois d’août dans son recueil. Mais, du coup, il a maintenu une possibilité de lecture tout à fait étonnante. Le poème Walcourt serait la redite, à partir du 22 juillet, de la fugue du 7 juillet et des beuveries d’Arras et Charleville. Le poème Walcourt reprendrait dès lors l’humour du billet cité plus haut (« Je voillage vertigineusement », « En wagon ») qui a donc été envoyé auparavant à Lepelletier : « Gares prochaines, / Gais chemins grands […] ». Verlaine aurait soigneusement évité de dater le poème Charleroi pour ne pas attester clairement d’une présence en cette ville au mois d’août, après la rupture définitivement consommée avec Mathilde. Il aurait volontairement maintenu l’ambiguïté, semblant se couvrir contre un reproche possible de goujaterie, comme si les imprécations contre Mathilde de Birds in the night et Child wife n’étaient déjà pas d’une inconvenance évidente.

Or, les spécialistes et amateurs des deux poètes ont vécu de l’illusion d’un trajet linéaire unique qui aurait été fidèlement précisé dans la succession des pièces de la section Paysages belges du recueil de Verlaine. Pour les biographes, les passages dans des villes de Belgique devaient être repoussés à la périphérie d’un long séjour à Bruxelles même. Or, si personne ne peut ignorer que Verlaine a quitté Bruxelles le 22 juillet, l’événement a été réduit à une importance nulle au plan des voyages. Abandonnant Mathilde lors du contrôle des passagers à la frontière (Quiévrain), Verlaine serait directement reparti à Bruxelles dans le but de rejoindre Rimbaud au plus vite, à moins que ce dernier ne se fût embarqué discrètement dans le même train et qu’il soit descendu à la frontière avec Verlaine, cependant que Mathilde repartait sidérée pour Paris. Voici le discours du chapitre XIII Deux spectres joyeux à ce sujet :

 

Après son simulacre de retour à Paris, Verlaine était revenu à Bruxelles en compagnie de Rimbaud.

 

En réalité, malgré son pouvoir explicatif pour notre nouvelle idée d’un compagnonnage de Rimbaud et Verlaine de la frontière de Quiévrain à Bruxelles en passant par Walcourt et Charleroi, la présence de Rimbaud n’est pas prouvée dans le train. Elle n’est appuyée que par le témoignage tardif de Delahaye et elle est soumise à la contradiction du témoignage même de Mathilde qui, dans ses Mémoires, cite un billet agressif de Verlaine, qui parle de partir rejoindre son ami s’il veut encore de lui :

 

Misérable fée carotte, princesse souris, punaise qu’attendent les deux doigts et le pot, vous m’avez fait tout, vous avez peut-être tué le cœur de mon ami ; je rejoins Rimbaud, s’il veut encore de moi après cette trahison que vous m’avez fait faire.

 

Transcription scrupuleuse ou non, cela ne cadre pas avec l’idée d’un Rimbaud à bord du train, n’en déplaise aux biographes. Il est donc possible que celui-ci ait rejoint Verlaine à Walcourt ou aux environs de Quiévrain par ses propres moyens. Mais il est impossible d’affirmer également que Verlaine soit retourné directement à Bruxelles, sans l’attester par l’un ou l’autre document.

La biographie de référence de Jean-Jacques Lefrère a essayé de ménager à la fois présentation chronologique et distribution thématique. Son chapitre XIII sur le séjour belge de l’été 1872 fait d’abord état des péripéties du trajet des deux poètes entre Paris et Bruxelles, en incluant la thèse supposée indubitable d’étapes à Walcourt et Charleroi. Il traite ensuite de l’ensemble de la production poétique des deux poètes pendant ces deux mois, indépendamment donc de toute césure possible autour du 22 juillet. Il s’intéresse ensuite à la fréquentation des réfugiés communards. Le thème de la surveillance politique à l’égard de ceux-ci lui a permis une transition du côté des inquiétudes de madame Rimbaud qui a appris la fugue de son fils et qui a lancé des recherches. Le biographe profite alors de cette transition pour effectuer un important retour en arrière qui nous décrit le mois de juillet du point de vue de Mathilde, ce qui autorise la reprise d’un récit chronologique des échanges entre les deux époux jusqu’à la rencontre fatidique du 22 juillet. Comme son commentaire des poèmes a déjà eu lieu, le biographe n’a plus grand-chose à ajouter pour relier le 22 juillet au départ pour l’Angleterre le 7 septembre. Il se contente d’indiquer une lettre de Verlaine à Lepelletier du début du mois de septembre où Mathilde est conspuée, et il soulève quelques interrogations, avant de reprendre son récit à partir du 7 septembre. Ainsi, alors que tous les poèmes des Paysages belges sont peut-être postérieurs au 22 juillet, la significative biographie de Lefrère ne les a évoqués que comme résultant du départ du 7 juillet, et pas du tout comme pouvant résulter de la rupture conjugale du 22 juillet, puisque l’épisode du 22 juillet a tendance à clore le chapitre XIII sans opérer le moindre retour sur la portée biographique des Paysages belges.

En 2006, Bernard Bousmanne a publié un livre consacré à ce qu’il appelle « l’Affaire de Bruxelles » : Reviens, reviens, cher ami, en exhibant de nombreux documents, pour partie inédits, du procès. Ces documents provenaient de la Bibliothèque Royale de Belgique. Mais, d’autres documents inédits furent dévoilés dans cet ouvrage. Fidèle au récit classique, Bernard Bousmanne, qui suit la chronologie, rappelle que Rimbaud et Verlaine sont partis le 7 juillet de Paris, qu’ils sont passés par Arras et Charleville, et qu’ils sont arrivés à Bruxelles en juillet, « [e]n passant par Walcourt et Charleroi. » Lorsqu’il relate l’épisode de Quiévrain, il adhère également à la thèse non établie d’un Rimbaud qui aurait suivi Verlaine et sa femme dans un autre wagon et qui serait descendu à la gare frontière de Quiévrain avec lui, le 22 juillet donc. Cependant, au début du chapitre II intitulé De l’Hôtel de Dunkerque aux docks de la city, en passant par « Boglione », l’auteur nous apprend que les deux poètes ne sont revenus à Bruxelles que le 8 août 1872 pour loger à l’Hôtel de Dunkerque. Il s’agit d’une information inédite située à un passage clef du livre, le début d’un chapitre dont le titre porte la mention énigmatique de « l’Hôtel de Dunkerque ». Il convient de citer ce passage essentiel :

 

Bruxelles, le 8 août 1872. De retour dans la capitale belge, Paul et Arthur logent à l’Hôtel de Dunkerque. Leurs noms figurent dans l’un des Registres des étrangers descendus dans les hôtels conservés par la police. Deux ou trois fois par an, les hôteliers fournissaient en effet aux autorités judiciaires leurs listes d’inscription des voyageurs. Les agents recopiaient ensuite ces renseignements dans d’autres registres. Dans le volume allant du 25 juillet 1871 au 13 novembre 1872 conservé aux Archives de la ville de Bruxelles, on peut lire les mentions suivantes :

« [Noms] Rimbaud – [Prénoms] Arthur – [Age] 18 – [Lieu de naissance] Charleville – [Date de l’arrivée] 8 août – [Lieu d’où viennent les voyageurs] Charleroi – [Hôtels et autres lieux où sont descendus les voyageurs] Hôtel de Dunkerque.

[Noms] Verlaine – [Prénoms] Paul – [Profession] Employé – [Age] 28 – [Lieu de naissance] Metz – [Date de l’arrivée] 8 août – [Lieu d’où viennent les voyageurs] Charleroi – [Hôtels et autres lieux où sont descendus les voyageurs] Hôtel de Dunkerque. »

 

L’auteur en tire la première conclusion qui s’impose :

 

Ainsi, du 22 juillet au 8 août, Rimbaud et Verlaine battent la campagne et ne retournent pas directement à Bruxelles. Si on ignore tout de leurs pérégrinations durant ces quelques jours, on sait qu’ils sont passés par Charleroi.

 

Une seconde conclusion tendait à s’imposer, mais notre auteur ne l’envisage pas. Il rappelle que, selon un témoignage tardif, Verlaine prétend également être passé à Liège avec Rimbaud. Pour notre auteur, Rimbaud et Verlaine ont visité Liège, puis Malines en août. La distribution des Paysages belges rend plausible l’idée que Rimbaud et Verlaine se soient d’abord installés à l’Hôtel de Dunkerque avant de visiter Malines. La visite de Liège est plus délicate à situer dans le temps. Quiévrain, Walcourt et Charleroi sont deux villes et une commune trop rapprochées que pour situer un séjour à Liège entre ces trois escales. Mais, ce dont ne se rend pas compte Bousmanne, c’est que, désormais, les étapes à Charleroi sont dédoublées sans aucune nécessité biographique. Il n’a pas vu la contradiction possible avec la lecture classique des Romances sans paroles. Les nombreux jours qui séparent le 22 juillet du 8 août, la mention explicite d’un logement à Charleroi, permettent, du point de vue de la conception biographique, d’alléger la pression événementielle étonnante jusqu’ici portée sur la période du 7 au 22 juillet 1872. Mais cela n’est pas tant une manière littéraire de rendre plus naturelle et plus fluide la fable biographique. Ce qui se cache derrière cela, c’est d’un côté une révélation poétique, de l’autre une lecture biographique plausible qui pourrait expliquer la vacuité du séjour bruxellois en termes de réseau social à établir pour nos deux poètes.

En effet, du point de vue social, Rimbaud et Verlaine n’ont guère profité de leur séjour prolongé dans la capitale. Ils n’auraient même rien publié et ils n’auraient pas cherché à s’occuper, à travailler. Il semble plus probable que l’intervention de Mathilde a défait les premiers liens de nos deux poètes avec le milieu des réfugiés communards. Après dix jours de présence, nos deux poètes n’ont pas encore eu le temps de s’intégrer qu’ils disparaissent pour une période de 18 jours. Même si Rimbaud a pu plaire en juillet, le travail d’intégration était forcément à reconstruire à partir du 8 août. En tous les cas, l’ardeur des deux poètes s’est ralentie. Rimbaud et Verlaine, qui, visiblement, ont choisi de s’exiler à Bruxelles par fidélité communarde, pensent désormais que l’exil anglais serait à la fois plus avantageux et plus significatif. La volonté de rejoindre les exilés communards à Bruxelles, puis à Londres, telle est bien sûr la clef qui permet de comprendre le départ des deux poètes rejetant le milieu parisien issu de la répression de la Semaine sanglante. L’absence de réalisations littéraires ou journalistiques des deux poètes durant un séjour prolongé de deux mois dans la seule capitale belge surprend et pourrait laisser un sentiment de gratuité de l’exil, tandis que l’idée d’une brèche chaotique entre le 22 juillet et le 8 août permet de rendre cet exil à toute une complexité existentielle qui justifie les piétinements, les retards, le désintéressement paradoxal et progressif pour une activité journalistique ou pour la publication soutenue de poèmes dans les revues, énigme fondamentale de la carrière rimbaldienne qui nous paraît autrement plus importante que le célèbre questionnement sur son silence ultérieur.

Quant à la lecture biographique et polémique des Romances sans paroles, elle se confirme plus que jamais. Verlaine ne pouvait pas se vanter d’être un velléitaire, qui, après une fugue avec Rimbaud, avait accepté de revenir à Paris avec sa femme, puis, complètement ivre, l’avait plaquée sur le quai d’une gare de la frontière pour retourner bientôt à Bruxelles rejoindre l’amant un instant abandonné. Le recueil idéalise la fugue par un trajet linéaire, et, automatiquement, Verlaine ne pouvait pas évoquer un double passage à Bruxelles qui aurait dévoilé toute son inconséquence existentielle. Enfin, en termes de lecture intime du recueil, le rejet signifié à Mathilde est d’autant plus fort s’il prend acte de l’événement du 22 juillet. Rimbaud et Verlaine savaient pertinemment que la section des Paysages belges ne couvrait pas toute la période du 7 juillet au 7 septembre, mais que la saoulerie de Walcourt consacrait la véritable entrée dans la fugue, la rupture définitive avec Mathilde. L’échec de la mi-juillet était effacé par le recueil et sans doute ainsi pardonné par Rimbaud. Cette lecture n’a jamais été envisagée auparavant, elle a toutes les chances d’être juste, d’autant que les Paysages belges sont suivis par la section Birds in the night. Ce réquisitoire élégiaque, discrètement subdivisé en sept poèmes de trois quatrains chacun, devait ponctuer le projet initial de Bonne chanson retournée, de « mauvaise chanson » donc. Contre les épithalames et le mariage, Verlaine affirmait son amour pour Rimbaud et reprochait à Mathilde son incapacité à dépasser la notion du couple pour un ménage à trois, tout ceci dans une œuvre blasphématoire où l’ambiguïté du rire n’était qu’un faux-semblant de la provocation, puisque, par défi, le martyr d’un amour maudit assumé « Rit à Jésus témoin », la lecture pieuse relevant du contresens programmé. Or, le poème Birds in the night désigne par son titre la migration anglaise de Rimbaud et Verlaine qui est annoncée dans les derniers vers, toutefois ironiques, du poème Bruxelles. Simples fresques II : « Oh ! que notre amour / N’est-il là niché ? », tandis que le contenu de Birds in the night évoque cruellement la dernière union érotique consentie par Mathilde pour ramener à elle son époux, celle de l’entrevue bruxelloise du 22 juillet précisément. A cette aune, le recueil perdrait beaucoup de son intérêt, s’il fallait s’en tenir à la lecture naïve initiale selon laquelle Verlaine a rassemblé des créations éparses inspirées par la Belgique. Notre thèse offre une lecture autrement plus ramassée. Opérant l’ellipse du ratage de la première moitié du mois de juillet, Verlaine célèbre la fin d’un mariage perçu sur le modèle de la corde au cou. Il en prend acte à Walcourt à la fin du mois de juillet, le poème témoignant d’une beuverie profanatoire à ce sujet. Derrière sa légèreté, Walcourt se pose en poème de défi aux conventions, à commencer par celles du mariage. Tout son sens est dans l’implicite et on peut soupçonner qu’au plan biographique la beuverie fût en réalité un nouveau déchirement pour le poète menteur. Significativement non daté, le second poème belge témoigne d’un séjour revigorant dans la ville ouvrière de Charleroi au début du mois d’août, en conformité avec la preuve apportée par les Registres des étrangers descendus dans les hôtels. Plus prosaïquement, Rimbaud a sans doute eu besoin de montrer Charleroi à son ami pour distraire son esprit. Verlaine consacre ensuite plusieurs poèmes à la ville de Bruxelles et évoque encore au moins l’une des escapades de lui et Arthur en-dehors de la capitale, avec le poème Malines. Le lecteur non informé n’avait plus qu’à apprécier l’intensité du seul trajet en ligne droite esquissé, bien qu’il dût être démenti par la réalité biographique. A la lumière désormais de cette idée de lecture chronologique et biographique renouvelée pour la section des Paysages belges, nous envisageons donc de publier prochainement une lecture d’ensemble du recueil des Romances sans paroles. La connaissance biographique des deux poètes livre le sens profond du recueil Romances sans paroles, mais en retour le recueil nous dévoile lui aussi quelque chose de la vie des deux artistes, à condition de déjouer les pièges tendus par les raccourcis et embellissements de Verlaine.

22 mai 2021

Hommage à Mario Matucci, par André Guyaux

Hommage à Mario Matucci
Allocution prononcée à l’université de Pise le 21 septembre 1993
Dans l’univers intellectuel de Mario Matucci, on rencontre Marivaux, Benjamin Constant, Rimbaud. On y croise également des auteurs moins célèbres, comme Bourget, ou Saint-Martin, le « philosophe inconnu », cher à Sainte-Beuve. Ce sont des choix libres, issus d’un contact direct avec les œuvres. Dans ce bel éclectisme, Rimbaud domine. Il est la figure récurrente. Tout comme Mario Matucci est la forte personnalité du rimbaldisme en Italie. La contribution italienne aux études sur Rimbaud, il faut le rappeler, est l’une des plus vivantes et des plus riches. En saluant Mario Matucci, je salue à travers lui les rimbaldiens italiens. D’autant que la plupart d’entre eux se sont réclamés ou se réclament de lui. Mais nous sommes tous ses disciples, au-delà des frontières. D’abord parce que dans un domaine où les hypothèses sont souvent fragiles et où tant de livres sont inutiles, où tant d’arguments sont contestables, dans un domaine où nous avons tous les jours à nous méfier, à retourner aux textes, aux faits, à l’histoire, le point de vue de Mario Matucci a toujours été exemplaire. Il n’a jamais laissé de côté la raison critique. Un avis qu’il a exprimé en 1952 vaut toujours ; ses travaux de critique historique sur Rimbaud en Abyssinie n’ont pas même à être retouchés. 
 
Mais une autre raison le place au sommet de nos études : il est un rimbaldien complet, – éditeur et traducteur, historien et philologue, exégète de la lettre et de l’esprit, attentif au Rimbaud de l’œuvre littéraire et à l’aventurier d’Abyssinie. Cette dualité, nous la retrouvons dans le titre de son dernier livre sur Rimbaud : Les Deux Visages de Rimbaud, qui montre bien ce double appel, vers la vie et vers l’œuvre, vers le poète et vers le « négociant » d’Afrique et d’Asie. Comme nous la retrouvons dans le titre que Mario Matucci a choisi pour réunir les actes du colloque qu’il a organisé à Grosseto en septembre 1985 : Arthur Rimbaud : poesia e avventura. Dans son esprit, les deux visages de Rimbaud s’éclairent mutuellement. Et les thèmes qu’il aborde sont souvent au confluent de deux identités. Il s’est penché ainsi sur la question des filiations, sur celle en particulier qui relie Rimbaud à Baudelaire. Il s’est aussi intéressé à la notion d’échec, à l’angle des deux vies. Et il a toujours gardé à l’esprit la modernité poétique, en éditant et en commentant prioritairement Une saison en enfer et les Illuminations. En essayant de comprendre la dialectique des deux vies et celle de la vie et de l’œuvre, il a contribué à la définition de la poésie moderne. 
 
Il faut saluer également son rôle éminent de fondateur d’une activité critique, celle de l’édition savante. Publiée en 1952, son édition des Illuminations, contemporaine des travaux d’Étiemble et suivant de peu la thèse de Bouillane de Lacoste, est la première grande édition annotée, avant Suzanne Bernard et Antoine Adam. Dans sa préface, il y proclame la « primauté du texte ». Et l’une des plus belles idées du centenaire de 1991 a été la réédition de ce livre, à l’initiative de Sergio Sacchi. Qu’est-ce que le souci de « la primauté du texte » ? C’est, en l’espèce, une forme de sagesse qui permet de mieux comprendre la relation entre les deux œuvres en prose de Rimbaud, de mieux comprendre ce qui a joint et disjoint ces deux projets, l’un précédant l’autre mais se prolongeant au-delà. Reprenant la suggestion de Gustave Kahn, voici ce qu’écrit Mario Matucci à propos des Illuminations : « esse si prolungano nel tempo senza un piano di composizione ben determinato, rifflettendo i diversi stadi del sviluppo e del declino della forza e del metodo del “Voyant” ». Voilà admirablement situés, en trois lignes, les poèmes en prose de Rimbaud, ce projet qui ne s’est jamais véritablement déterminé, qui est l’agonie lumineuse du poéticien de 1871 et l’une des perspectives, la principale peut-être, de la poésie moderne.
 
Dès 1952, Mario Matucci, conformément au témoignage de Verlaine, plaçait un terme à la poésie de Rimbaud : 1875, s’éloignant ainsi des fausses audaces d’Antoine Adam et de quelques autres, leur chronologie prolongée n’ayant d’autre but que d’autoriser une explication exclusivement référentielle des Illuminations. Mario Matucci ne fait pas cette confusion. Ce qu’il rend solidaire, par la philosophie que lui inspire la poésie de Rimbaud, il le distingue dans la méthode : au texte poétique, l’interprétation non réductrice ; à la vie, à l’histoire, les instruments de la critique historique.

 

Dans son livre de 1962, Le Dernier Visage de Rimbaud en Afrique, suivi d’un article important, sur « La malchance de Rimbaud », publié en août-septembre 1966 dans Critique, Mario Matucci choisit de contredire quelques-unes des hypothèses soutenues par Enid Starkie dans son Rimbaud en Abyssinie en 1937. Il s’agissait principalement des trafics imputés à Rimbaud par Enid Starkie, du trafic d’armes, sujet sensible déjà, et surtout du trafic d’esclaves, sujet plus sensible encore. Enid Starkie s’était autorisée quelques facilités de déduction, pour accuser Rimbaud d’avoir pratiqué le trafic d’esclaves. Elle avait oublié ou censuré une petite phrase, apparue dans la lettre d’Alfred Ilg à Rimbaud du 23 août 1890 : « Je reconnais absolument vos bonnes intentions ». Nul ne sait exactement ce qu’était ces « intentions », mais Alfred Ilg pouvait les trouver « bonnes ». En l’absence de documents, en l’absence de faits avérés, il faut donc dénoncer la légende et tout ce qui lui donne prise. C’est à cela que Mario Matucci s’emploie dans son livre. Non seulement il réfute Enid Starkie, en dénonçant une négligence de méthode, mais il établit une version plus vraie, qui tient compte également de ce qu’Enid Starkie avait pu légitimement affirmer. Il travaille en historien, attentif aux contextes, et la connaissance de la vie même de Rimbaud en Afrique lui doit beaucoup.   
Source : Rimbaud Ivre. 
21 mai 2021

"Juillet : 1872 ou 1873 ? ", par David Ducoffre

Le poème Juillet, que beaucoup connaissent sous le titre Bruxelles ou à partir de son incipit : « Plates-bandes d’amaranthes… », est l’un des plus énigmatiques de l’œuvre de Rimbaud. Nous reviendrons sur certains éléments du poème dans de prochains articles. Précisons seulement (pour ceux qui ne jouissent pas d’éditions récentes des œuvres de Rimbaud) que la mise en vente du manuscrit en 2006 a permis de corriger la présentation du titre au-dessus des vers. Le poème s’intitule Juillet et en haut à droite apparaissent deux localisations géographiques démarquées par des virgules, comme s’il fallait les lire avant le titre : « Bruxelles, / Boulevart du Régent, Juillet. » Un tel mode de lecture expliquerait que La Vogue et Verlaine aient intitulé ce poème Bruxelles et non Juillet en 1886, malgré le soulignement exclusif de la mention de mois. La vente du manuscrit a également révélé une lacune à la fin du vers 3. Le début d’un « P » majuscule apparaît de manière indiscutable sur le rebord déchiré du manuscrit et cela nous apprend que ce vers qui ne comptait jusqu’alors que neuf syllabes métriques, « lieux » comptant classiquement pour une seule syllabe, est amputé d’un monosyllabe à la rime. La certitude scientifique est ici impossible, mais il faut raison garder : à un très haut degré de probabilité, l’apostrophe « Père[,] » en fin de vers 3 doit ici « rimer » à la mode banvillienne avec la mention « Jupiter » du vers 2.
Rimbaud a été présent à Bruxelles, aussi bien en juillet 1872 qu’en juillet 1873. Mais il est strictement impossible que le poème fasse allusion au drame de Bruxelles et à l’incarcération de Verlaine. Le récit du séjour bruxellois de 73 est connu, il a intéressé la Justice. Rimbaud est arrivé de nuit, il a passé deux jours pratiquement en permanence dans la chambre de Verlaine. Les scènes d’extérieur ne concernent alors que la proximité de la Grand-Place. Après le coup de feu et l’arrestation de Verlaine, à une nuit près, le reste du séjour de Rimbaud se passera à l’hôpital, avec la simple exception d’un jour de permission le 19 juillet : il profita de ce dernier pour remettre une lettre de désistement en mains propres au juge t’Serstevens. Le 20 juillet, libéré, Rimbaud eut la possibilité de repartir en France. Voilà tout le résumé de son séjour bruxellois du 8 au 20 juillet. Le « boulevart du Régent » n’est pas concerné par ce séjour, et il n’est nullement question de vie au soleil. Qui plus est, Rimbaud ne pouvait pas écrire intensément à ce moment-là : sa blessure au poignet est présentée dans le libellé pince-sans-rire du procès fait à Verlaine comme une incapacité de travail causée à un homme de lettres. Du peu de temps libre que Rimbaud a eu pour « flâner » à Bruxelles, il faut encore retrancher la probable visite à l’éditeur Poot, puisqu’une mise sous presse du livre Une saison en enfer a suivi.
L’arrestation de Verlaine eut lieu à l’Hôtel de Ville, son incarcération se fit aux Petits-Carmes (ce qui ne nous rapproche qu’approximativement du « boulevard du Régent »), son jugement eut lieu le 8 août au tribunal de première instance et sa condamnation fut confirmée en appel le 27 août. Les affirmations selon lesquelles Verlaine a été condamné en juillet 1873 dans un palais de Justice du boulevard du Régent sont complètement erronées et même le rapprochement de la « cage de la petite veuve » avec la prison des Petits-Carmes est aléatoire. Que Rimbaud puisse se moquer de son compagnon Verlaine sous les traits d’une Vierge folle dans Une saison en enfer (ceci étant dit sans préjudice de l’autonomie littéraire du texte), cela demeure vraisemblable dans la mesure où cette prose semble avoir été écrite en juin, un peu avant le drame de Bruxelles. En revanche, Juillet serait un texte bien léger pour se moquer du drame de Verlaine. Nous savons qu’au contraire Rimbaud fut abattu et qu’il recopia des poèmes de Verlaine à la fin de l’année 1873. Quelques manuscrits nous sont parvenus. Ni en 1872, ni en 1873, il n’est concevable que Rimbaud passât son temps à railler la poésie de Verlaine. L’idée de poèmes de Rimbaud ridiculisant le talent de Verlaine est un lieu commun de la critique rimbaldienne, mais un lieu commun qui manque depuis toujours d’une élémentaire cohérence. Nous n’y adhérerons sûrement pas.
En réalité, Juillet est un poème de l’été 1872. La canicule des mois de juin et juillet fut alors un sujet littéraire d’actualité, notamment dans La Renaissance littéraire et artistique. Un autre poème à l’esthétique similaire est daté de « juillet 1872 » : « Est-elle almée ?... » Or, les deux poèmes contiennent la même mention : « C’est trop beau ! » ; l’un à cinq vers de sa fin, l’autre à quatre. L’esthétique fantaisiste des Paysages belges dans Romances sans paroles rappelle l’esthétique du récit de voyage en Belgique de Théophile Gautier, tandis que cette déclaration de recueil « sans paroles » de Verlaine fait songer nettement à la scène de « silence » du poème Juillet de Rimbaud. Le recueil Romances sans paroles contient lui-même trois poèmes intitulés Bruxelles, mais datés du mois d’août, dont un localisé géographiquement. Il aurait été écrit à l’estaminet « Au Jeune Renard ». Ce repérage géographique en marge des vers est proposé à la manière des mentions « Bruxelles, Boulevart du Régent, » du poème de Rimbaud. Rappelons que Verlaine en 1886 pensa lui-même que le titre de Juillet était Bruxelles. Dans l’un des poèmes intitulés ou surtitrés Bruxelles de Verlaine, il est aussi question de la foire populaire de Saint-Gilles. Les deux autres poèmes bruxellois sont qualifiés de Simples fresques. Dans sa lettre du « 22 7bre 72 » à Emile Blémont, Verlaine a envoyé les trois poèmes bruxellois suivis de la seconde ariette alors intitulée Escarpolette.  La présentation des poèmes est différente du recueil final. Tiure au singulier Simple fresque. Le poème « La fuite est verdâtre et rose… » est précédé de la localisation suivante : « Près de la ville de Bruxelle [sic] en Brabant », d’une parenthèse parlante (Complte d’Isaac Laqueden [sic]) et d’un chiffre romain I isolé, puisque les autres poèmes ne sont pas numérotés. Le poème « L’allée est sans fin,… » est intitulé Paysage belge et le troisième poème est précédé d’une mention exactement conforme à celui de Rimbaud : « Bruxelles, Auberge du Jeune Renard, Août 72. » Voilà qui ressemble à la présentation de Rimbaud : « Bruxelles, Boulevart du Régent, Juillet », sauf que le mois fait titre chez Rimbaud, cependant que le poème de Verlaine a son propre titre Chevaux de bois. Or, Verlaine ne s’arrête pas là, il ajoute une épigraphe de Victor Hugo en tête de son poème : « Par St-Gille / Viens-nous-en / Mon agile / Alezan ! » et, à la suite des vers, il revient sur ces répères géographiques et temporels : « Champ de foire de St-Gilles-lez-Bruxelles, Août 72. » Cette lettre fait état d’un projet littéraire De Charleroi à Londres à partir de « notes excessivement curieuses sur la Belgique », ce qui fait encore une fois songer à une similitude d’intention avec le Voyage en Belgique et en Hollande de Théophile Gautier. Enfin, le ton des trois poèmes de Verlaine est bien sûr à l’unisson avec celui du poème de Rimbaud.
Rimbaud et Verlaine ont logé à Bruxelles environ du 10 juillet au 22 juillet, et l’ex madame Verlaine nous a appris le succès immédiat que Verlaine prêtait à Rimbaud auprès des réfugiés communards. Or, nos deux poètes résidèrent au Grand Hôtel liégeois et un document révèle que, lorsque la mère de Rimbaud fit rechercher son fils, les renseignements des enquêteurs confondirent le Grand Hôtel liégeois avec « l’hôtel de la Province de Liège rue de Brabant à St Josse-ten-Noode ». Les deux hôtels étaient assez proches l’un de l’autre. La localisation de Rimbaud et Verlaine se fait précisément à proximité du « Boulevart du Régent » du 10 au 22 juillet 1872, à savoir dans le centre-ville vers St Josse-ten-Noode. Il suffit de regarder une carte de Bruxelles pour s’en rendre compte.
Le poème est une description le long du « boulevart du Régent ». Tous les éléments s’y trouvent, à une exception près qui n’est pas le « palais de Jupiter », mais la « charmante station du chemin de fer ». C’est ce que le texte dit en toutes lettres. Nous y reviendrons prochainement.
Quant à la « Charmante station du chemin de fer », j’ignore encore à quoi elle peut renvoyer. Il est question d’une comparaison entre Juliette et Henriette, apparemment sur le mode de La Voie lactée de Banville, poème où, comme Jacques Gengoux l’a fait remarquer, il est question d’une comparaison entre Shakespeare, le drame, et Molière, la comédie. Cette comparaison se fait à partir des figures féminines de Juliette et d’Henriette. Henriette est l’héroïne des Femmes savantes, pièce dans laquelle Trissotin, portrait charge du « petit abbé » Cottin, lit l’épigramme Sur un carrosse de couleur amarante. Il se trouve que Verlaine venait de composer un poème qui reprenait approximativement un vers de cette épigramme : le vers « Car tant d’or s’y relève en bosse », est la réécriture du vers « Où tant d’or se relève en bosse » de Trissotin. Ce poème de Verlaine, c’est la sixième des Ariettes oubliées et elle se caractérise par un procédé banvillien. Verlaine fait rimer des mots masculins avec des mots féminins tout au long de son poème, jusqu’à la mention « rime non attrapée » qui nous fait tout à coup basculer dans des rimes fausses dignes de figurer dans les poèmes de Rimbaud de la même époque : « arrive » :: « naïf », « fatigué » :: « s’en égaie », sans compter l’obligation classique de la consonne d’appui pour les rimes en « é » : « petit abbé » :: « attrapée ».
Il n’est pas encore temps pour nous de préciser les liens entre ces textes. Mais, ce qu’il faut déjà comprendre, c’est qu’il est question d’un balcon sur le boulevard du Régent qui, de manière obscène, fait songer le poète à la célèbre scène de Roméo et Juliette du drame shakespearien et entraîne une comparaison avec une station de chemin de fer, localisée on ne sait où et baptisée du nom d’Henriette. Cette fois, il faut retrouver un élément de la description qui n’est pas situé sur le boulevard du Régent. Quelles stations de chemin de fer peuvent être bien connues de Rimbaud ? Songe-t-il à Walcourt, à une station bruxelloise, française ? Le train est un motif central des poèmes de Rimbaud et Verlaine à cette époque, comme le montre entre autres la relation intertextuelle révélée par Steve Murphy entre Malines et Michel et Christine. Le poème Walcourt des Romances sans paroles, très proche de notre Juillet, parle aussi des « gares prochaines », tout comme son successeur Charleroi (« Des gares tonnent. »). Mais, Rimbaud et Verlaine ne se sont rendus à Walcourt et Charleroi qu’après le 22 juillet apparemment. L’idée d’une station française ou d’une station belge inconnue semble devoir s’imposer. Citons le fameux billet que Verlaine envoya à cette époque à Lepelletier :
Mon cher Edmond,
Je voillage vertigineusement. Ecris-moi par ma mère, qui sait à peine « mes » adresses, tant je voillage ! Précise l’ordre et la marche. Rime-moi et écris-moi rue Lécluse, 26. – Çà  [sic] parviendra – ma mère ayant un aperçu vague de mes stations… psitt ! psitt ! – Messieurs, en wagon !
[…]
Comme l’a montré Bruno Claisse, les mots techniques pour désigner l’univers du chemin de fer sont très présents dans les Illuminations MouvementMarineLes PontsSoir historique, etc. Même Génie semble y faire allusion : « le charme des lieux fuyants et le délice surhumain des stations », image étonnamment proche de vers opposant un calme ancien à une évasion dans Juillet : « Calmes maisons, anciennes passions » et « Charmante station du chemin de fer ». Nous voilà loin de la littérature romantique hostile au progrès, voilà que le train libère le poète et défait la mélancolie : « mille diables bleus dansent dans l’air ».
Dans notre compte rendu de l’article de Benoît de Cornulier sur le poème Juillet, nous avons précisé que le mot « station » était le seul enjambement de mot réel à la césure dans le poème et que cet enjambement avait lieu précisément au vers 14, milieu d’une composition de 28 vers. Nous avons fait une remarque similaire pour le poème Mémoire. Les deux seuls enjambements de mots au sens strict portent sur les vers 21 et 24 du quatrain post-médian, puisque le poème Mémoire compte 40 vers. La mention « station » est donc capitale pour la compréhension du poème Juillet, lequel comporte encore au dernier quatrain une suite ramassée de mentions étonnantes : « Boulevard », « mouvement », « scènes », etc. Le mot « scènes » est le titre d’un poème en prose des Illuminations, lequel a été publié au demeurant en même temps que Juillet dans le numéro 8 de la revue La Vogue en 1886. Le « Boulevard sans mouvement » fait écho au « mouvement d’un boulevard de Bagdad » dans le poème en prose Villes (« Ce sont des villes »). L’autre poème en prose intitulé Villes (« L’acropole officielle…) offre un parallèle intéressant avec le début de Juillet, sans le bleu du ciel toutefois : « Impossible d’exprimer le jour mat produit par ce ciel immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. » Voici encore quelques passages sur « drame » et « commerce » : « Le quartier commerçant est un circus d’un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la chaussée est écrasée […] A l’idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez-sombres. » Nous retrouvons une similaire approche de littérature de voyage sous le regard acide du poète ! Et ce n’est pas tout, « mouvement » est le titre d’un poème des Illuminations où il est question des transports modernes et du train notamment (« mouvement de lacet », « célérité de la rampe ») comme l’a montré Bruno Claisse. Ce poème Mouvement, caractérisé par l’apparition du vers libre moderne, joue à son tour sur une distribution étonnante. Le contraire du « mouvement » en physique, c’est le « Repos », précisément le premier mot du vers 14, au milieu donc d’un poème en 26 vers.
Arrivé à Londres, Verlaine a envoyé plusieurs lettres conséquentes datées de septembre et octobre à son ami Edmond Lepelletier, où il décrit en informateur consciencieux son exploration de la capitale anglaise. La ressemblance d’allure de ces lettres avec les poèmes Villes de Rimbaud et d’autres est saisissante. Pourtant, la critique préfère penser que Rimbaud a attendu le court mois de compagnonnage londonien avec Germain Nouveau pour composer en toute hâte un nombre conséquent de poèmes en prose chargés de références pointues, histoire de rappeler qu’il était resté écrivain. Pris par le temps, Rimbaud dut même demander à Nouveau d’achever de recopier Métropolitain et l’un des deux Villes. Franchement, vous y croyez ?
En tout cas, Juillet est une relation touristique amusée dans l’esprit de la section Paysages belges des Romances sans paroles de Verlaine. Il y est question du passage à Bruxelles entre les 10 et 22 juillet, et une description est envisagée en ce qui concerne le boulevard du Régent. La révolution belge eut lieu non pas en juillet, mais en septembre 1830. Le 21 juillet 1831 sera celui du serment de fidélité du roi Léopold Ier. Le Régent fut à la tête de l’Etat entre ces deux dates. Mais le français Rimbaud fréquentant à Bruxelles le milieu des réfugiés communards, le poème peut s’intituler Juillet en référence ici provocante à la Révolution française. Le « paradis d’orage » est présent dans Juillet, ce qui n’est pas sans échos avec les trois textes suivants : Villes (« Ce sont des villes !... »), Le Bateau ivre (« les juillets) et Paris se repeuple (« L’orage a sacré ta suprême poésie »). La légèreté de ton du poème est nettement marquée par le sentiment d’évasion que célèbre plus que nettement le vers central du poème avec son enjambement de mot à la césure : « Charmante station du chemin de fer ». La station signifie l’arrêt et il est ici impossible de s’arrêter à la césure, voilà quel est l’effet de sens de ce défaut de césure au vers 14. Enfin, en juillet 1872, l’esprit des poèmes en prose des Illuminations était proche, extrêmement proche.
Source : Rimbaud Ivre. 
15 mai 2021

Je suis réellement d'outre-tombe, Arthur Rimbaud

boite lettres (1)

 


Charleville-Mézières (Ardennes). À l’entrée du cimetière de la ville, où est enterré Rimbaud, une boîte à lettres spéciale invite à lui écrire. (LP/Y.J.) Source.

11 mai 2021

Supplément du livre "Arthur Rimbaud, un poète" édition spéciale.

 

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