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A.R.

13 avril 2021

[Fragments du Feuillet 12]

Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendre vole dans l'air ; - une odeur de bois suant dans l'âtre, - les fleurs rouies, - le saccage des promenades, - la bruine des canaux par les champs - pourquoi pas déjà les joujoux et l'encens ?

x x x

J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.

x x x

Le haut étang fume continuellement. Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc? Quelles violettes frondaisons vont descendre ?

x x x

Pendant que les fonds publics s'écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.

x x x

Avivant un agréable goût d'encre de Chine, une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et, tourné du côté de l'ombre, je vous vois, mes filles ! mes reines !

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13 avril 2021

Ouvriers

spaceO cette chaude matinée de février ! Le Sud inopportun vint relever nos souvenirs d'indigents absurdes, notre jeune misère.

Henrika avait une jupe de coton à carreaux blanc et brun, qui a dû être portée au siècle dernier, un bonnet à rubans et un foulard de soie. C'était bien plus triste qu'un deuil. Nous faisions un tour dans la banlieue. Le temps était couvert, et ce vent du Sud excitait toutes les vilaines odeurs des jardins ravagés et des prés desséchés.

Cela ne devait pas fatiguer ma femme au même point que moi. Dans une flache laissée par l'inondation du mois précédent à un sentier assez haut, elle me fit remarquer de très petits poissons.

La ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous suivait très loin dans les chemins. O l'autre monde, l'habitation bénie par le ciel, et les ombrages ! Le Sud me rappelait les misérables incidents de mon enfance, mes désespoirs d'été, l'horrible quantité de force et de science que le sort a toujours éloignée de moi. Non ! nous ne passerons pas l'été dans cet avare pays où nous ne serons jamais que des orphelins fiancés. Je veux que ce bras durci ne traîne plus une chère image.

13 avril 2021

Les Ponts

 

Les Ponts

spaceDes ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

 

Plan
Introduction
1-Un tableau impressionniste et symbolique
le regard du peintre
l'œil du poète
un tableau séquentiel en mouvement
2-Une allégorie de la condition humaine
la fragilité des constructions humaines
La lumière qui met fin à l'imaginaire
conclusion


Introduction

"Les Ponts", du recueil des Illuminations, est précédé de "Ouvriers » et suivi de "Ville". C'est un poème qui tire sa modernité d'une réalité connue du lecteur contemporain, la ville. Déjà Baudelaire avait fait entrer en poésie les grandes cités de cette ère nouvelle industrielle et on les retrouve dans les "Tableaux parisiens" des Fleurs du mal. Il s'y était montré plus rêveur que peintre et dessinateur. Rimbaud va quant à lui nous brosser de véritables tableaux, échafauder des architectures concrètes, relevant avant l'heure d'un impressionnisme ou d'un cubisme. Les Ponts de Rimbaud sont une réussite du poète peintre ou architecte. Le titre est déjà révélateur, formé d'un substantif et d'un article défini. L'article les permet au poète de feindre de se référer à une réalité pour englober avec le pluriel la généralisation d'une nouvelle réalité. Dans le poème Rimbaud nous révèle toute l'étendue de sa palette, des phrases nominales, courtes, des petites touches qui se succèdent en rompant brutalement avec ce qui précède. Cette technique invite le lecteur à prendre du recul par rapport à ce qui est dit et obtenir par suggestion, une interprétation. Dès le début on a une vision d'ensemble, la grisaille d'un paysage urbain avec des reflets lumineux comme dans un kaléidoscope. Le pluriel repris devant ciel renvoie à la multitude, à la peinture impressionniste qui s'attache à rendre les effets chatoyants et changeants dans une sorte de métamorphose féerique. Étymologiquement Le pont est un ouvrage, un lien qui relie deux réalités séparées mais qui symbolise également peut-être un entre-deux entre une vision ordonnée et une vision chaotique de la réalité, ou peut être un entre-deux entre le réel et l'abstrait, ou, en d'autres termes, entre l'immanence et la transcendance.

1-Un tableau impressionnisme et symbolisme


Le regard du peintre
Dans "Les Ponts" Rimbaud use de termes relevant du registre pictural donnant au lecteur l'impression qu'il assiste à la description d'un tableau, un bizarre dessin de ponts, composé d'un enchevêtrement de figures géométriques faites de croisements de lignes courbes, de droites obliques. Mais cette apparente multiplication de formes qui confine au vertige se révèle être un artifice. Ici les verticales, les horizontales, les diagonales, les courbes se mêlent construisant une réalité qui combinent les points de vue ou les angles de vision comme le feront plus tard les cubistes. En haut du tableau, des ciels gris de cristal et en bas, un paysage plus écrasé, aplati, l'eau grise et bleue, large comme un bras de mer. Les figures intercalées prennent alors une allure fantastique comme dans un tableau surréaliste. Se succèdent différents plans, un premier plan de ponts droits, un second de ponts courbes, ou rendus courbes par des effets de perspective. Les canaux suggèrent des lignes de fuite confirmant la perspective et donnant l'impression d'un regard porté depuis une position haute, créant ainsi dans le tableau des effets de profondeur. A la façon du cubisme, le regard du peintre prend la forme d'un rayon lumineux qui explorent les différentes facettes du cristal. La seule forme qui ne subit aucune diffraction, c'est la veste rouge, qui rappelle le garçon au gilet rouge de Cézanne, un jeune italien au costume folklorique (1890), point de départ d'une phrase interrogative qui nous rappelle qu'à l'oeil du peintre se superpose celui du poète.


L'œil du poète
Le lecteur suit la description dans une sorte de confusion, un vertige de sens. Tout dérive ou s'échappe pour laisser le lecteur dans une interprétation incertaine. Le poète dirige le regard dans le tableau, mais à peine a-t-il découvert le cadre que Rimbaud multiplie les époques, les modes vestimentaires, les sonorités comme pour perdre son lecteur. De quelle ville s'agit-il, Londres ? Paris ? Venise ? est-ce une ville médiévale avec les masures sur les ponts, ou une ville italienne ? On assiste à une parade, on y joue de la musique mais quelle musique y entend-t-on ? des morceaux populaires, des concerts ? Tout bouge vite, tout est mouvement, tout est fragment. Le poète semble soucieux de ne pas intervenir, il se dissimule en utilisant le "on", puis donne cependant son avis "bizarre". On assiste à une hésitation constante entre le désir de différencier les objets soumis au regard et le désir de les réduire à quelque fragment pour rendre compte de leur foisonnement, de leur mouvement. On assiste à un tournoiement verbal qui prépare à la dissolution finale du tableau. Le mouvement ne permet de retenir que des fragments, des bouts de mâts, des bouts de musiques, des restants. Ce monde décrit par Rimbaud est à la fois plein et fragmenté, mais c'est la seule vision qui puisse aussi saisir le mouvement des choses.


Un tableau séquentiel en mouvement

La scène décrite ici dépasse largement le cadre du tableau et les objets représentés ne sont pas fixes. La vision devient alors imagination. La description des ponts s'apparente à une peinture qui traduirait des scènes de mouvement, avec des participes présents "descendant", "obliquant" des verbes pronominaux "s'abaissent", "s'amoindrissent" qui ajoutent la mobilité à la personnification des rives. L'usage de verbes pronominaux indique que le sujet de l'action est aussi son objet, ou, en d'autres termes, que le mouvement est interne au sujet. Le participe présent pronominal "se renouvelant" suggère une multiplication donnant vie aux objets. Le mouvement est orchestré par la musique, des "accords mineurs" qui se croisent comme les ponts. Les cordes que l'on retrouve dans les instruments de musique sont ici des amarres, des liens qui retiennent les bateaux à la rive, elles sont lâchées. Seule échappe à cette transfiguration la mystérieuse veste rouge sur laquelle se concentrent les regards. La couleur de la veste, rouge, en fait un déguisement de carnaval et annonce la mention des "costumes". Dans un poème qui se présente comme une invitation à la vision, la référence au théâtre, la comédie, est présente par cette tenue colorée. Le rayon blanc final anéantira cette comédie jouée par ceux qui paradent sur les ponts avec leurs costumes et leurs instruments participant au spectacle féerique.


2-Une allégorie de la condition humaine

II est possible de lire "Les Ponts" comme une allégorie de la difficile condition humaine. L'union dans une même phrase de différentes époques et de différents espaces lui donne une valeur allégorique. Les ponts de Rimbaud prennent place entre l'eau grise et le ciel gris à travers lequel par instant filtre un rayon de lumière, le rayon blanc, instant de lumière dans une existence parfois triste. Les ponts qui défient les lois de la physique en permettant de s'affranchir de l'élément liquide sont ici qualifiés de légers mais ils supportent en réalité de lourdes charges, des maisons, des passants, des musiciens, des signaux. Cela rappelle la fragilité humaine supportant de lourds fardeaux.

La fragilité des constructions humaines

Les lignes courbes ou obliques dessinent ici comme une armature, une ossature qui soutiendrait la réalité. Mais cette armature est fragile et instable. II est fait dans la description des ponts un usage systématique du registre de la pesanteur. Les ponts sont "légers", et les rives qu'il réunit sont "chargées de dômes", s'abaissent et s'amoindrissent. Comme les rives, les ponts ont leur fardeau, les masures, les parapets. Le pont bien que chargé comme les rives, ne s'abaisse ni ne s'amoindrit, et bien que léger, il soutient et ne ploie pas. Les "dômes" désignent des édifices importants. Le pont, qui surpasse par sa hauteur le dôme ne soutient que des constructions mineures, des "frêles parapets", " de misérables masures". II est, l'accord mineur, un humble intermédiaire humain, une construction fragile.

La lumière qui met fin au rêve

Le rayon blanc est la lumière qui met fin à l'imaginaire et vient anéantir l'extase de l'homme. La lumière dissipe ce qui empêchait d'avoir une vision claire, précise et qui permettait à l'imagination de voguer librement. La dernière phrase, isolée par un tiret, un silence, qui se veut rupture est caractéristique de la manière dont Rimbaud aime clore une "illumination" et l'achever, l'anéantir. Sans lumière, sous un ciel terne, ce n'était qu'une comédie, une illusion éphémère, une bizarrerie du regard et de l'imagination. Comme dans une hallucination fugitive, le décor se détruit de lui même. L'image de la chute, reprise dans la dernière phrase, évoque la chute d'Icare, le fils du génial artisan Dédale, qui aurait pu construire des ponts et qui figure l'homme qui a tenté de s'élever par ses propres moyens jusqu'aux dieux, et peut-être de prendre leur place. Icare, en tombant, est rendu au monde des hommes. L'eau du canal qui devient à la fin du texte aussi "large qu'un bras de mer" désigne le sort naturel du fleuve. La mer a repris ses droits. "Les Ponts" peuvent donc être lu comme une allégorie de la condition humaine et le pessimiste de la fin traduit les menaces qui pèsent sur toute entreprise visant à modifier la nature puisque cette dernière reprend toujours ses droits.


Conclusion

Le poème "les ponts" est représentatif des illuminationsRimbaud nous invite à une succession de spectacles de différentes époques ou le monde réel se trouve magnifié. Mais ce spectacle est aussi une illusion et la fin du poème met fin à l'extase. Les illuminations conduisent Rimbaud au silence et résumes sa phrase : cela s'est passé, je sais aujourd'hui saluer la beauté.

Vocabulaire

Les ponts

Attention : Rien ne permet dans le texte de préciser qu'il s'agit de Londres et de La Tamise, ce serait une erreur grossière de l'affirmer dans un commentaire.

Rythme ternaire

Analogie entre poésie et musique,
Au début du poème on trouve ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendants ou obliquants. C'est un rythme ternaire. Le rythme ternaire est aussi une musique à trois temps.

Rythme binaire
Quelques uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mats.

Immanence
Qui est intérieur à un être, un objet, qui résulte de sa nature.

Transcendance

Qui est d'une nature autre, absolument supérieure, de ce qui est extérieur au monde.

L'amplification par l'utilisation des pluriels (ponts, ciels, masures, dômes, mats) donne au texte une fonction messianique et au poète le rôle de porte parole libérateur de l'humanité.

13 avril 2021

Ville

Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! Ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaître amènent si pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples du continent. Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et éternelle fumée de charbon, - notre ombre des bois, notre nuit d'été ! - des Erinnyes nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci, - la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, et un Amour désespéré, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue.

Rimbaud, Illuminations, 1875

Note Gallimard :
Etiemble a montré qu'il s'agit sans doute ici d'une ville de rêve. Rimbaud y trouve l'occasion d'éprouver une prose poétique neuve, comme le suggérait Baudelaire en tête des Petits poèmes en prose. Il fait ici, un songe de modernité.

Plan
Introduction
1-La vie à Londres
2-Une vie d'errance et de réclusion
3-Double langage
Conclusion

Introduction
"Ville" au singulier, du recueil des Illuminations, fait partie du cycle des villes avec deux autres poèmes "villes" au pluriel". Ces trois poèmes qui sont séparés de "Ornières» et de "Vagabonds" constituent l'élément central du recueil 'Illuminations". Le premier de ces textes constitue une introduction et avec les deux autres constitue un cycle. Ils ont en commun d'être des poèmes de l'ambivalence ou Rimbaud qui nous annonçait à la fin de l'adieu d'une saison en Enfer que "nous entrerons aux splendides villes" se montre ici moins enthousiaste et optimiste sur un monde urbain étranger mais monotone et triste.

1-La vie à Londres
L'éphémère et point trop mécontent citoyen de la métropole crue moderne n'est autre que notre jeune poète Rimbaud qui séjourna à Londres en compagnie de son ami Verlaine, une sorte d'exil littéraire et sentimental partagé avec de nombreux exilés de la Commune de Paris. Ce séjour qui s'est fait en deux étapes de septembre à décembre 1872 dans le quartier de Soho puis en juillet 1873 autour de Big Ben ne lui a pas laissé que de bons souvenirs . Autobiographique, le texte semble l'être assurément, il est écrit à la première personne avec un "Je" en attaque de poème et une multiplication des adjectifs possessifs, "ma" ou "notre" car cela ressemble à une multipossession avec Verlaine. La métropole où il réside est crue et moderne, pas de fioritures de l'ancien, de copies tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'héritage classique, nul monument à la gloire, aux superstitions d'un passé révolu . Rien que du moderne, une modernité à la Baudelaire, un regard vers l'avenir, une innovation technique comme un miracle, la recherche d'une prose poétique assez souple et heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie et aux soubresauts de l'âme. Cette ville de Londres n'a-t-elle pas cette modernité de s'adapter aux soubresauts de l'histoire, aux ondulations de l'âme, c'est le modèle dont il faut s'inspirer. C'est encore un peu brut, un peu crû, un peu violent mais quelques retouches et l'idéal est atteint, c'est l'illumination, la superposition des idées à cette ville à la géométrie trop rectiligne.


2-Une vie d'errance et de réclusion

L'Angleterre est devenu le refuge des communards, des opposants au régime politique qui ont choisi l'exil ainsi que des opposants de toute nature. Londres nous apparaît ici comme un eldorado de tolérance, une morale réduite à sa simple expression, une fraternité d'opposants. La morale y apparaît donc moins stricte qu'en France, réduite à sa plus simple expression et les liaisons homosexuelles y paraissent tolérées, "enfin". La langue est réduite à sa plus simple expression, lorsqu'on ne connaît pas la langue d'un pays et que l'on ne fait aucun effort pour l'apprendre. C'est la ville avec son anonymat, chacun se perd dans la foule, l'ouvrier comme le bourgeois, une foule cosmopolite, "des millions", des gens qui travaillent comme partout, des professeurs qui enseignent, des personnes âgées, rien d'exceptionnel dans cette description qui s'appliquerait à n'importe quelle ville. Notre Rimbaud semble cependant y vivre reclus, il reste à sa fenêtre et ne voient que des spectres, des ombres menaçantes car ces nouveaux habitants bannis de leur pays et qui retrouvent ici une nouvelle patrie, "un cottage" sont toujours poursuivis par de nouveaux ennemis, par des Erinnyes nouvelles.

3-Double langage
Mais cette nouvelle patrie, moderne parce que tolérante n'est pas l'Eldorado qu'il espérait. Si cette ville est tolérante, elle est aussi bien monotone, sans relief, aucun sentiment ne s'en dégage, aucune personnalité dans les agencements intérieurs et extérieurs. Citoyen pas trop mécontent doit plutôt se lire citoyen très mécontent, mécontent parce que les communards le rejettent et parce que la morale y est plus insidieuse. Rimbaud, Verlaine et les opposants de toute sorte sont en fait très surveillés, infiltrés discrètement par une police omniprésente malgré son invisibilité. La liaison scandaleuse qu'il entretient avec Verlaine figure dans de nombreux rapports de police, notre poète qui croyait se fondre dans cette foule anonyme ne parlant pas sa langue est en réalité surveillé, écouté. Des tensions sont aussi vite apparues dans le couple Verlaine-Rimbaud, les coups pleuvent, les disputes sont permanentes, le "cottage" charmante maison de campagne, coquette est devenue un enfer, dans lequel la mort sans pleurs, le suicide est une menace bien réelle. Verlaine, le saturnien, le maudit a déteint sur Rimbaud, les déesses de la vengeance s'acharnent maintenant sur lui. Cette ville est non seulement une ville triste mais on y meurt dans la plus totale indifférence. Nous sommes très loin d'entrer dans les splendides villes qui devaient fournir l'inspiration au poète en lui servant de modèle mais on arrive à la mort, à l'antre de l'Enfer.

Conclusion
Ville est la description d'une ville bien ordinaire, croisement d'innombrablesêtres humains, une des nombreuses métropoles du monde entier, aux rues quelconques dans la grisaille avec sa foule cosmopolite et anonyme. On est loin des villes splendides annoncées à la fin d'une saison en Enfer et nous restons encore dans la désillusion. Cette entrée dans la ville se métamorphose peu à peu en arrivée dans l'antre de l'Enfer.

Vocabulaire

Villes visitées par Rimbaud en 1875
Londres, Stuttgart, Bruxelles, Paris.

Les 2 séjours de Rimbaud à Londres
Septembre 1872, il quitte Ostende pour Londres avec Verlaine. Arrivés, il prennent contact avec les communards exilés qui les aident à s'installer près de Soho 34 Howland Street. Rimbaud rentre à Charleville en décembre 1872. Juillet 1873, il retourne à Londres où est resté Verlaine, et loge 8 Greet College Street (à proximité de Big Ben). Mais leur liaison étrange commence à être connue du milieu communard londonien qui l'exclut avec Verlaine. Cette liaison étrange est mentionnée dans les rapports de police qui infiltre les exilés. Le couple se met alors à boire, et ils se battent. Verlaine quitte Rimbaud qui menace de se suicider.

Big Ben
C'est la tour de l'horloge de Wesminster Palace, la maison du parlement. A coté du parlement se dresse la tour St.-Étienne dite Big-Ben du nom de sa cloche de 13,5 tonnes. C'est l'entrepreneur Benjamin Hall corpulent qui a donné le nom à cette cloche de 13,5 tonnes qui sonne tous les 1/4 d'heure avec un "Bong" différent.

.
Soho
Quartier du centre de Londres, célèbre pour son pittoresque et son cosmopolitisme.

Cottage
Maison de campagne, coquette et rustique.

La commune de Paris
Gouvernement révolutionnaire du 18 mars 1871, après la chute de Napoléon III, les parisiens occupés et partisans de la guerre accusent Thiers de pactiser avec l'ennemi. Le 18 mars 1871, les communards s'opposent aux Versaillais venus les désarmer. Les communards résistent mais sont finalement écrasés lors de la semaine sanglante. Beaucoup de communards furent déportés, d'autres se réfugièrent en Angleterre.

Éphémère

Qui dure peu

Cru
Se dit de quelque chose que rien n'atténue, violent.

Métropole
Du grec meter, mère et polis, ville, capitale d'un pays.

Allégorie
Description, récit qui pour exprimer une idée générale recourt à une suite de métaphore.

Erinnyes

Dans la mythologie grecque, déesses de la Vengeance, les romains les assimilèrent aux Furies.

L'amplification par l'utilisation des pluriels (ponts, ciels, masures, dômes, mats) donne au texte une fonction messianique et au poète le rôle du porte parole libérateur de l'humanité.

 

13 avril 2021

Ornières

À droite l'aube d'été éveille les feuilles et les vapeurs et les bruits de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides ornières de la route humide. Défilé de féeries. En effet : des chars chargés d'animaux de bois doré, de mâts et de toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et les enfants, et les hommes, sur leurs bêtes les plus étonnantes ; - vingt véhicules, bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d'enfants attifés pour une pastorale suburbaine. - Même des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d'ébène, filant au trot des grandes juments bleues et noires.space
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13 avril 2021

Villes [I] et [II]

 Crystal Palace

spaceL'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d'exprimer le jour mat produit par ce ciel immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d'énormité singulier toutes les merveilles classiques de l'architecture. J'assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu'Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères ; les subalternes que j'ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brahmas*, et j'ai tremblé à l'aspect des gardiens de colosses et officiers de construction. Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on a enivré les cochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d'acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.

Sur quelques points, des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville ! C'est le prodige dont je n'ai pu me rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l'acropole ? Pour l'étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circus d'un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques, mais la neige de la chaussée est écrasée ; quelques nababs aussi rares que les promeneurs d'un matin de dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert des boissons populaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. À l'idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu'il y a une police ; mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée des aventuriers d'ici.

Le faubourg, aussi élégant qu'une belle rue de Paris, est favorisé d'un air de lumière. L'élément démocratique compte quelques cents âmes. Là encore les maisons ne se suivent pas ; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le "Comté" qui remplit l'occident éternel des forêts et des plantations prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu'on a créée.

Crystal Palace
Le Crystal Palace, dessiné par Sir Joseph Paxton.
Grande exposition de 1851, Hyde Park, Londres.

- * Brahmas surcharge le mot nababs. Le mot est difficile à déchiffrer et les éditeurs ont souvent adopté d'autres lectures : brahmanes, bravi, bravaches, etc.

 

II

spaceCe sont des villes ! C'est un peuple pour qui se sont montés ces Alleghanys et ces Libans de rêve ! Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets. La chasse des carillons crie dans les gorges. Des corporations de chanteurs géants accourent dans des vêtements et des oriflammes éclatants comme la lumière des cimes. Sur les plates-formes au milieu des gouffres, les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de l'abîme et les toits des auberges l'ardeur du ciel pavoise les mâts. L'écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches. Au-dessus du niveau des plus hautes crêtes une mer troublée par la naissance éternelle de Vénus, chargée de flotte orphéoniques et de la rumeur des perles et des conques précieuses, -la mer s'assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur les versants, des moissons de fleurs grandes comme nos armes et nos coupes mugissent. Des cortèges de Mabs en robes rousses, opalines, montent des ravines. Là-haut, les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs tètent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. Vénus entre dans les cavernes des forgerons et des ermites. Des groupes de beffrois chantent les idées des peuples. Des châteaux bâtis en os sort la musique inconnue. Toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs. Le paradis des orages s'effondre. Les sauvages dansent sans cesse la Fête de la Nuit. Et une heure je suis descendu dans le mouvement d'un boulevard de Bagdad où des compagnies ont chanté la joie du travail nouveau, sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les fabuleux fantômes des monts où l'on a dû se retrouver.

Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette région d'où viennent mes sommeils et mes moindres mouvements ?

Alleghanys Ou Alleghenys

Ensemble de chaînes et de régions montagneuses de l'est des États-Unis, faisant partie du massif des Appalaches.

13 avril 2021

Vagabonds

Rimbaud par Verlaine dans une lettre à Delahaye, 26 octobre 1875.

Du livre Passion Rimbaud, Claude Jeancolas.

spacePitoyable frère ! Que d'atroces veillées je lui dus ! "Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise. Je m'étais joué de son infirmité. Par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage". Il me supposait un guignon et une innocence très bizarres, et il ajoutait des raisons inquiétantes.

Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par delà la campagne traversée par des bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.

Après cette distraction vaguement hygiénique, je m'étendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, - tel qu'il se rêvait ! - et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.

J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du soleil, - et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule.

 

13 avril 2021

Veillées

 

I

C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée.
L'air et le monde point cherchés. La vie.
- Etait-ce donc ceci ?
- Et le rêve fraîchit.

II

L'éclairage revient à l'arbre de bâtisse. Des deux extrémités de la salle, décors quelconques, des élévations harmoniques se joignent. La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes, de frises de bandes atmosphériques et d'accidents géologiques. - Rêve intense et rapide de groupes sentimentaux avec des êtres de tous les caractères parmi toutes les apparences.

III

Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage. La mer de la veillée, telle que les seins d'Amélie. Les tapisseries, jusqu'à mi-hauteur, des taillis de dentelle teinte d'émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves : ah ! puits des magies ; seule vue d'aurore, cette fois.

13 avril 2021

Mystique

spaceSur la pente du talus, les anges tournent leurs robes de laine dans les herbages d'acier et d'émeraude. Des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du mamelon. À gauche, le terreau de l'arête est piétiné par tous les homicides et toutes les batailles, et tous les bruits désastreux filent leur courbe. Derrière l'arête de droite, la ligne des orients, des progrès.

Et tandis que la bande en haut du tableau est formée de la rumeur tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines,

La douceur fleurie des étoiles et du ciel et du reste descend en face du talus, comme un panier, - contre notre face, et fait l'abîme fleurant et bleu là-dessous.

 

13 avril 2021

Aube

 

J'ai embrassé l'aube d'été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors, je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

 

Note Gallimard :
Il importe assez peu de savoir quel est le pays traversé par le héros de ce poème (c'est à dire Rimbaus), ni même quelle est cette déesse entrevue et poursuivie. C'est un rêve conduit hors de l'espace et du temps réels., et qui se dissipe quand on reprend conscience de ce temps ; si l'on veut, c'est encore "une petite veille d'ivresse, sainte" ("Matinée d'ivresse") ou bien le retour au quotidien de deux êtres "qui furent rois toute une matinée" ("Royauté"). 
On sait, par alleurs, que Rimbaud aimait cette "heure indiscible, première du matin".

Plan
Introduction
Une fête de la nature en éveil
Une métaphore amoureuse
Un échec sentimental cuisant


"Aube" fait partie, avec "Ornières", "Fleurs" et "Mystique", de cet ensemble de proses des Illuminations que l'on pourrait appeler "féeries". Le poète y décrit ces instants de rare et fragile bonheur où sa présence s'inscrit heureusement et comme magiquement, par le regard, dans l'espace accueillant, docile et gracieux, de la Nature. On sera particulièrement sensible à la configuration de cet espace naturel, à sa symbolique où se dévoile le désir du poète, à son "éphémérité" enfin, puisqu'il se révèle au final comme le lieu précaire d'une possession manquée.

Une fête de la nature en éveil

"Aube" est, le récit d'un songe poétique conduit en dehors de l'espace et du temps réel et qui se dissipe lorsque l'on reprends conscience de ce temps. Rimbaud aimait cette heure indicible, première du matin, moment éphémère, fragile, fugace, fulgurant et qui vient décolorer les visions de la nuit. Dans cette semi-obcurité qui précède le jour, la nature sommeille encore, dans une immobilité totale. L'espace décrit est celui du rêve, le narrateur ne quitte pas sa chambre. Il importe assez peu d'ailleurs de savoir quel est le pays traversé par le héros du poème, ni même quelle est cette déesse entrevue et poursuivie. Le paysage qui ouvre le poème est celui d'un clair-obscur immobile, celui la même que déteste Rimbaud toujours en quête de mouvement, de voyage. L'eau est figée dans la torpeur comme une morte, les respirations lentes, les ailes sont repliées. Cette immobilité n'est qu'apparence, la vie reprend joyeuse au seul passage du promeneur qui ranime les énergies. Chaque matin est ainsi une renaissance. "les ailes se levèrent" , "une fleur me dit son nom" rappellent Baudelaire dans les Fleurs du malqui comprend la nature, le "langage des fleurs et des choses muette". Le narrateur d'Aube" redonne vie à la nature par la seule magie de son itinéraire joyeux, allègre, dans une sorte de rire communicatif. Le mouvement passe subitement de l'horizontalité caractéristique du repos à verticalité par une sorte d'ascension qui permet à notre auteur de structurer désormais l'espace de son songe. De la cime des arbres aux clochers et aux dômes de la ville, une même "élévation" saisit tout l'espace, au simple réveil provoqué par le passage du narrateur. Même le "wasserfall" ordinairement une cascade, une simple chute d'eau passive prend des allures de mouvement désordonnés, elle s'échevelle parmi les sapins. Rimbaud multiplie avec des verbes à l'imparfait les assonances en "è", pour traduire phonétiquement avec ce son d'admiration, l'extase de la nature en fête à son réveil communiquée par la gaieté du promeneur.


Une métaphore amoureuse
L'octosyllabe qui ouvre le poème, "J'ai embrassé l'aube d'été", suggère la métaphore amoureuse qui, au milieu du texte, va convertir la nature exaltée en une créature mythique : "je reconnus la déesse." En face du Moi-enfant, tel que se décrit Rimbaud, et qui finira le poème, la Nature dans son éveil va prendre l'apparence d'un désir. Cette nature, dans son rêve va lui réincarner dans les airs, au sommet des arbres, une créature merveilleuse, une déesse qui va naître de l'eau du wasserfall comme la Venus émergeait de sa conque marine. La Nature apparaît alors au narrateur sous les traits d'une séductrice qui d'entrée devient un danger "je l'ai dénoncée au coq", "elle fuyait"Féerie du "promeneur solitaire", "Aube" devient alors le récit fantasmagorique d'un amant esseulé. Le "dévoilement" du paysage dans le jour grandissant se confond avec l'effeuillage de notre Vénus, "je levai, un à un ses voiles". L'"Aube" reprenant son sens littéral d'une naissance au monde et pour Rimbaud devient un éveil aux vertiges et aux fantasmes d'une sexualité adolescente, ardente mais maladroite.


Un échec sentimental cuisant
Commencé dans un grand "rire" libérateur et communicatif, le parcours initiatique de l'amoureux s'achèvera vite par un échec cuisant, une culbute honteuse et tragique : "l'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois". Notre Rimbaud n'arrive pas à retenir l'objet de ses passions qui lui échappe "elle fuyait". Entre l'élan initial et son échec, on retrouve une constante, un Rimbaud à la recherche d'un idéal qui n'existe pas, victime de la rigueur de ses goûts, de son désir de perfection. Avec une extrême simplicité syntaxique, les deux grands versets de la seconde partie du texte décrivent l'accélération de la faillite frustrante d'une quête amoureuse placée, dès le départ, sous le signe de l'ambiguïté : "elle fuyait... je la chassais". Entre le "Elle" inaccessible car trop idéalisé et le "Je" inefficace s'est installée, une dynamique plus complexe que celle qui unissait au départ notre narrateur au décor naturel. Plus le temps passe, plus la distance réelle entre leurs deux êtres se fait grande, et le rapprochement contradictoire traduit par la comparaison oxymorique du "mendiant sur les quais de marbre". Autrement dit, plus les voiles sont levés faisant croire à une tentative de séduction réussie, plus incertaine devient la réussite du projet et la possession de sa créature idyllique. Le paradoxe est encore plus aigu lorsque au terme de la course poursuite, la déesse est pudiquement rhabillée avec "ses voiles amassés". Dans un second et très significatif oxymore, "j'ai senti un peu" la rencontre est vécue comme une frustration, une impuissance. Le narrateur enfant d'"Aube" succombe littéralement à l'excès d'un désir auquel ne répond qu'une possession pauvre, illusoire, en un mot ratée. Conclusion
Un octosyllabe ouvrait le poème ; un autre le referme : "Au réveil il était midi." Cette phrase, d'une accablante tranquillité, sanctionne l'échec d'une quête sentimentale, dissipe le songe, gomme et annule aussi le Moi qui n'existait que dans et par ce songe. L'"aube" rimbaldienne qui promettait un grand jour s'éteint brutalement dans l'éblouissement d'un midi aveuglant.

Vocabulaire

Aube :

Du latin alba, blanche. Première lueur du jour qui apparaît à l'horizon. Très tôt.

Oxymore :
Rapprochement de deux mots qui semble contradictoires tel que un silence éloquent, un mendiant sur les quais de marbre.

Au front des palais :

On pourrait croire à un décor urbain avec des fontaines. Etrange dans un sous-bois. Rimbaud n'a-t-il pas fait un jeu de mots avec le "palais", la bouche, pour indiquer avec cette immobilité au lever du jour que personne ne prenait son repas.

Les participes passés
Il y en a trois, j'ai embrassé, j'ai marché, je l'ai entourée.

Le pronom personnel je
Il apparaît 9 fois.


Voile:
Etoffe qui sert à couvrir, à protéger, à cacher.

Laurier :
Arbuste de la région Méditerranée dont les feuilles sont utilisées en condiment. Le laurier était l'emblème de la victoire. Rimbaud joue encore sur les mots avec le bois de lauriers.

Amasser :
Réunir en quantité importante, Rimbaud exagère les vêtements portés en cette saison par la déesse.
Courir comme un mendiant sur les quais de marbre :
Autre phrase de construction oxymorique car les mendiants ne courent jamais en principe et attendent sagement que leur sébile se remplisse.

 

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