Voncq
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Attigny
La Chasse spirituelle dans les éditions de la correspondance de Verlaine et de Rimbaud
Arthur Rimbaud (1854-1891) par Ernest Pignon-Ernest.
Après la publication de la remarquable édition de la correspondance de Verlaine par Michaël Pakenham, il a été donné, dans La Revue Verlaine n° 10 éditée en 2007, un article intitulé : « La Chasse spirituelle dans la correspondance de Verlaine ». Il s’agissait de rectifier une importante erreur de date concernant une lettre de Verlaine à Edmond Lepelletier.
Voici à quelques détails exposé :
Dans le N°8 (oct.-dec.2001) de la revue Histoires littéraires était publiée sous la signature commune de Jean-Jacques Lefrère, Michaël Pakenham, Michel Pierssens, une lettre connue, mais dont le texte complet était inédit, de Verlaine à Philippe Burty mentionnant la mythique Chasse spirituelle. Verlaine y écrivait qu’il venait d’apprendre le jour même par sa mère l’existence de lettres compromettantes de Rimbaud que Mathilde Verlaine avait découvertes dans le bureau de son mari. Or, les termes employés par Verlaine étaient singuliers : il expliquait que les lettres n’étaient autres que les pages d’un manuscrit intitulé La Chasse spirituelle, manuscrit qu’on demanda à Madame Rimbaud de récupérer. J’ai alors émis l’hypothèse que Verlaine avait inventé le manuscrit pour tenter de récupérer les lettres. J’ai longuement exposé mes arguments dans l’article : « Les vrais faussaires de La Chasse spirituelle », Parade sauvage n°19, décembre 2003,p.91).Cet article a été publié par La Revue des ressources le 17 septembre 2009.
Toutefois, pour que mon hypothèse soit recevable, il fallait absolument que la liste dressée par Verlaine en 1872 pour récupérer ses affaires et documents et qui mentionnait La Chasse spirituelle ait été envoyée par Verlaine après le quinze novembre. Pourquoi ? Si comme je le pense Verlaine a inventé le manuscrit après la lettre de sa mère du 15 novembre, alors ma thèse s’écroulerait si la liste mentionnant La Chasse avait été envoyée avant le 15 novembre. Conscient de cette difficulté j’avais écrit à Michaël Pakenham pour lui demander son avis sur la date possible de l’envoi de la liste. Il me répondit aimablement et j’insérais pour le remercier la note suivante dans mon article :
J’avais la conviction que cette lettre de Verlaine à sa mère contenant la liste avait été envoyée à la mi-novembre, or Michaël Pakenham, qui termine l’édition de la correspondance de Verlaine, et que j’ai consulté à ce propos à bien voulu répondre à cette question, et il me confirme que c’est bien vers cette date qu’il faut situer cette lettre. Je le remercie, ici, pour sa précieuse collaboration.
Lorsque j’ai publié mon article la correspondance de Verlaine n’avait pas encore été éditée par Michaël Pakenham. Mais lorsque celle-ci parut j’observais que M. Pakenham avait placé avant le 15 novembre l’envoi de la fameuse liste de Verlaine. Examinons d’abord la situation avec précision car dans cette histoire les plus petits détails ont leur importance. La lettre 72-23 datée du Vendredi 6 novembre est immédiatement suivie par la liste Verlaine et seuls trois astérisques les séparent. M. Pakenham dit bien que la liste a été transmise par Madame Verlaine à Lepelletier mais comme il ne donne aucune précision sur la date de cette lettre, tout laisse penser que la date du 6 novembre est à retenir. La lettre 72-23 est suivie par la 72 -24 qui est datée du 10 novembre. Ceci prouve bien selon M. Pakenham que la liste a été envoyée par Verlaine avant le 15 novembre 1872.
Je me permets de contester la manière dont M. Pakenham a placé sa liste. Le premier point est non des moindres est que la date donnée par M.Pakenham pour la lettre 72- 23 est fausse. C’est le vendredi 8 novembre que la lettre a été envoyée et non le 6. Le vendredi 6 novembre n’existe pas en 1872. En revanche on est sûr que c’est un vendredi car Verlaine dit dans la lettre 72-23 : « Je profiterai de l’horrible loisir de dimanche (après demain) pour lui porter ta lettre. ». Le jour est donc le vendredi et il s’agit du vendredi 8 novembre 1872 comme le prouve le calendrier de l’époque ou La Renaissance littéraire et artistique de 1872 bien connue de M. Pakenham. D’ailleurs M. Pakenham lui-même mentionne la bonne date du vendredi 8 novembre à la note 9 de la page 27.
On en arrive donc à la situation suivante. La liste Verlaine serait située entre le vendredi 8 novembre et le dimanche 10 novembre. Or rien ne permet de faire une telle supposition, bien au contraire. Dans la lettre du vendredi 8 novembre Verlaine dit : « Je vais m’occuper de récupérer mes bibelots ». Donc il ne l’a pas encore fait. La seule autre indication que nous ayons sur l’envoi de la liste est celle-ci : dans la lettre 72-31 datée : fin novembre–début décembre Verlaine écrit : « Ma mère t’a remis la liste des bibelots qu’ils me gardent » et il donne un supplément à la liste. Ceci prouve simplement que la liste a été envoyée à sa mère avant la fin novembre. Il est permis de penser d’ailleurs que le supplément à la liste ne doit pas être éloigné de l’envoi de la première liste. Quoi qu’il en soit on ne peut exclure la possibilité que celle-ci ait été envoyée après le 15 novembre contrairement à ce que laisse entendre la correspondance de Verlaine.
Si j’attache de l’importance à mon hypothèse, c’est surtout pour la raison suivante : dans la liste, Verlaine mentionne que les lettres de Rimbaud contiennent des poèmes en prose. Si mon hypothèse est juste Verlaine précise cela pour donner le change entre les manuscrits et les lettres. Or cela remet en cause l’existence de ces poèmes en prose en 1872, argument toujours évoqué pour le problème de la datation des Illuminations. J’ajoute, et je ne l’avais pas assez bien montré dans mon article antérieur, que les poèmes en prose mentionnés par Verlaine sont insérés dans les lettres de Rimbaud, c’est-à-dire qu’ils auraient été écrits au printemps 72 par Rimbaud, donc à la même période où furent écrits les poèmes en vers de 1872. On sait que Rimbaud distribuera généreusement ces poèmes bien datés à ses amis et que dans le même temps on ne trouve aucune trace d’un quelconque manuscrit de poème en prose offert à cette époque à ces mêmes amis. De plus, il faut admettre qu’on aurait un corpus comprenant La Chasse spirituelle et des poèmes en prose qui ne seraient pas mentionnés dans « Alchimie du verbe » qui retrace pourtant le parcours poétique du poète à cette époque. Cela ne semble pas cohérent.
Je pensais avoir fait une mise au point définitive concernant la date de cette lettre, mais ce n’était pas fini ! En octobre 2007 Jean-Jacques Lefrère publiait la correspondance de Rimbaud dans laquelle il insérait des lettres d’autres correspondants. Notamment on le voit donner un extrait de la lettre de Verlaine à Lepelletier du 8 novembre qui nous intéresse. M. Lefrère qui ne peut maintenir la date impossible du vendredi 6 novembre donnée par M. Pakenham la corrige en mercredi 6 novembre... C’est-à-dire qu’il recule volontairement la lettre, contre toute vérité, puisque Verlaine précise dans sa lettre que dimanche est « après demain » !! La lettre adressée à Lepelletier avait d’ailleurs été correctement datée dans l’ancienne correspondance de M. Van Bever. Je me pose une question. Messieurs Lefrère et Pakenham n’ont pas jugé utile de signaler mon hypothèse, soit. Mais on sait par M. Murphy que Jean-Jacques Lefrère voulait développer ma thèse et je le félicite d’y avoir pensé (cf : Stratégies de Rimbaud, p.428, n.12, Champion, 2004). Pourquoi M. Lefrère n’a t-il pas été jusqu’au bout et a-t-il abandonné cette belle idée ? Pourquoi a-t-il qualifié ma thèse de « thèse imbécile » dans la Quinzaine littéraire ? (Voir mon droit de réponse à son article publié par La Revue des ressources le 19 septembre 2009) Est-ce une coïncidence si les cosignataires de la publication de la lettre de Verlaine à Burty qui révélait la mystification de Verlaine ont fait tous les deux une curieuse « erreur » de date concernant une lettre capitale de ma démonstration ? Qui sont les vrais faussaires ?
Rimbaud à Aden : une énigme résolue, par Jacques Bienvenu
Vraiment je tire mon chapeau à Jean-Jacques Lefrère ! Voici qu’un deuxième tome de Sur Arthur Rimbaud, Correspondance posthume vient déjà de paraître après le lancement tonitruant du premier tome, l’an dernier, avec en couverture la photo que l’on sait. Je crois que seul Jean-Jacques Lefrère était capable de réaliser ce tour de force de publier (presque) tous les documents, articles et lettres sur Rimbaud parus au fil des ans et ceci jusqu’en 1935 ; car on nous annonce trois tomes à venir ! Même le professeur Étiemble dans ses rêves les plus fous n’aurait pu imaginer une pareille entreprise. Il s’est contenté, à son époque, d’une tentative de bibliographie exhaustive, sobrement mais vigoureusement commentée et d’en faire une thèse fameuse. La publication de Jean-Jacques Lefrère est tout simplement prodigieuse et semble unique dans la littérature, comme l’a souligné récemment une presse bien informée. Je ne sais si le grand public se précipitera sur ce livre. En tout cas, j’ai couru l’acheter dès sa parution et je n’en suis pas déçu. Certes, il me faudrait un peu de temps pour en faire une complète recension. Le biographe de Rimbaud a reproduit nombre de documents que l’on trouve sur internet, mais l’intérêt du livre, selon moi, réside surtout dans les publications d’articles ou de lettres peu accessibles. Ainsi Jean-Jacques Lefrère a-t-il publié tout simplement, provenant d’une collection particulière, le fac-similé inconnu d’une lettre de Rimbaud ! Et pas de n’importe quelle lettre ! L’une des plus connues de la période où le poète partageait principalement son temps entre Aden et Harar. De plus, cette lettre comporte une énigme tout à fait passionnante. Il convient de la citer, elle n’est pas très longue :
« Cette lettre présente une difficulté qui, faute de pouvoir examiner l’autographe, demeure insurmontable. Henri Guillemin (« Connaissance de Rimbaud », dans le Mercure de France, 1er juin 1953) nous apprend qu’il a vu cet autographe, lequel appartenait à Paul Claudel, et il affirme formellement que l’autographe porte Aden et non Harar. Mais il n’est pas moins certain que le 25 mai 1881, Rimbaud est à Harar, et non pas à Aden. »
Observons d’abord que le fac-similé confirme la remarque d’Henri Guillemin : c’est bien Aden qui est écrit. Mais il y a une preuve qui interdit de penser que c’est un lapsus de Rimbaud. En effet : Rimbaud répond à sa mère le 25 mai qu’il a reçu sa lettre du 5 mai. J’en déduis que la lettre a mis 20 jours pour venir (ma profession de mathématicien m’aide beaucoup, je le reconnais). Mais 20 jours excluent complètement Harar car le courrier pour y parvenir de Charleville prenait plus d’un mois. D’ailleurs, plusieurs lettres de Rimbaud d’Aden attestent cette durée approximative de 20 jours pour le courrier de Charleville à Aden. Il est donc incontestable que la lettre a été écrite à Aden. Et voilà à nouveau le problème reposé !
De plus, il y a le problème des économies de 5000 francs qu’il annonce pour dans trois mois. Or, connaissant le salaire de Rimbaud à cette époque, Antoine Adam a parfaitement raison de dire qu’il est impossible qu’il possède cette somme, même si on observe qu’il l’annonce pour les trois mois qui suivent. Jean-Jacques Lefrère l’a bien noté dans sa première édition de la correspondance de Rimbaud. Il avait écrit:
Cette conviction est devenue une certitude depuis que j’ai consulté l’original de la lettre à la Bibliothèque nationale et surtout l’enveloppe. Cet original, contrairement au fac-similé de Jean-Jacques Lefrère, porte l’estampille rouge de la BNF. Sachant que la lettre avait appartenu à l’auteur du Soulier de satin, il m’a paru naturel de la chercher dans le fonds Paul Claudel, où je l’ai trouvée grâce à l’amabilité extrême et à la compétence des conservatrices de la Bibliothèque Richelieu. J’ai surtout pu consulter l’enveloppe de la lettre, que Jean-Jacques Lefrère n’a pas publiée. Or c’est un document capital. Henri Guillemin l’avait décrit comme une longue enveloppe bleue. En effet, l’enveloppe est bleue, mais surtout elle mentionne, par le tampon de la poste, qu’elle est arrivée à Roche le 19 juin 1882[1], ce qui correspond bien à un envoi du 25 mai 1882 et non 1881. Berrichon, qui ne s’est peut-être pas aperçu du problème de la contradiction entre le tampon de la poste et de la date mentionnée par Rimbaud sur la lettre, a écrit sur l’enveloppe, de son écriture reconnaissable : « 25 mai 1881 ». On comprend qu’il ait mis Harar dans son édition de 1899, pensant que Rimbaud n’était pas à Aden en 1881, et n’hésitant pas comme à son habitude à modifier le texte de Rimbaud. Il faut donc replacer cette lettre dans la correspondance du poète à sa place, entre celle du 10 mai 1882 et celle du 10 juillet 1882. On observe alors que Vitalie et Isabelle Rimbaud ont répondu toutes les deux immédiatement en deux lettres séparées à leur fils et à leur frère, jugeant non sans raison que cette lettre était celle d’un désespéré qui de surcroît leur expliquait qu’il ne croyait pas à une vie au-delà de la mort ! Ce qui devait être terrible pour des dames aussi dévotes. Rimbaud écrivit en effet le 10 juillet : j’ai reçu vos lettres du 19 juin. Il ajoutait : « j’espère bien aussi voir arriver mon repos avant ma mort ». Ce qui correspond bien à la lettre du 25 mai, mais il précisait aussi pour rassurer un peu les deux femmes : « si je me plains, c’est une espèce de façon de chanter. »
Il est incontestable que Jean-Jacques Lefrère est un bon documentaliste. C’est grâce à lui que j’ai pris conscience de ce problème de datation concernant la lettre du 25 mai 1882 lorsque j’ai vu le fac-similé dans son ouvrage. Il incite les chercheurs à compléter des informations concernant les documents de sa compilation. Néanmoins, sur la correspondance de Rimbaud qu’il a éditée, je crois qu’on peut être raisonnablement critique. Lorsque Jean-Jacques Lefrère dispose du manuscrit d’une lettre qu’il publie dans son livre, on le voit dans le même temps retranscrire le texte inexact de la Pléiade de 1972 (cf : « Une étrange lettre »). Lorsqu’il ne possède pas le manuscrit d’une lettre, affirmant qu’il ne se trouve pas là où je l’ai trouvé, il modifie des mots et il ajoute à la fin de la lettre une adresse que Rimbaud n’a pas écrite (cf : « L’édition de la lettre de Gênes »). Dans le cas présent, il fournit un fac-similé dont il ne tire comme conclusion qu’un retour navrant à l’édition de Berrichon de 1899. À cela s’ajoutent des erreurs de dates assez curieuses (cf : « La Chasse spirituelle dans les éditions de la correspondance de Verlaine et de Rimbaud »). Mais, l’essentiel est que la critique rimbaldienne progresse. Les publications de M. Lefrère y contribuent à leur manière.
Arthur Rimbaud - rencontre en Afrique avec Alfred Ilg
Alfred Ilg est né en Suisse à Frauenfeld le 30 mars 1854, un peu plus de six mois avant Arthur Rimbaud.
Il a étudié à l ‘école polytechnique de Zurich dont il sort avec un diplôme d'ingénieur.
Le roi Ménélik II, roi du Choa, et qui souhaite moderniser son pays va s’adresser à une compagnie suisse établie à Aden pour recruter un ingénieur. Pourquoi la Suisse ? Parce que c’est un des rares pays d’Europe qui ne soit pas colonisateur. Engager un ingénieur helvétique offre une garantie d’indépendance à Ménélik vis-à-vis de pays comme la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie qui ont déjà des implantations en Afrique et qui convoitent la région. Alfred Ilg va postuler. Il sera choisi. Il quitte la Suisse en 1878 et au terme d’un voyage de neuf mois, avec de longs séjours où il est bloqué pour des raisons administratives, il arrive enfin à Ankober en 1879.
Il faut souligner qu’au cours de la même année 1878, Arthur Rimbaud traverse la Suisse, si l’on se réfère à sa lettre du 17 novembre qui narre son voyage à pied dans « l’embêtement blanc » du col du Gothard.
En 1879, l’Abyssinie est un pays essentiellement agricole et manque d’ouvriers qualifiés. La capitale Entoto se trouve à 3200 mètres d’altitude. Ilg, en accord avec Ménélik, la fait descendre d’un cran et commence la construction d’Addis-Abeba (nouvelle fleur), située à 2400m. d’altitude pour en faire sa nouvelle capitale.
Les premières années d’Alfred Ilg en Abyssinie sont essentiellement consacrées à dresser un état des lieux et des nécessités en infrastructures du pays, afin d’établir des plans de modernisation par ordre de priorité. Cette période permet également à l’ingénieur d’apprendre la langue, l’Amharique, qu’il parle couramment et écrit presque aussi bien au bout de trois ans. Par la suite, Ilg construira des ponts, des routes et développera les communications, services de postes, téléphones et télégraphes.
Rimbaud arrive à Aden au début du mois d’août 1880 et après une période d’essai, il est affecté à la surveillance du tri du café sous la direction d’Alfred Bardey.
Assez rapidement, Rimbaud commence à se plaindre de ses conditions de travail et de vie. Son patron, soucieux du bien-être de ses employés, propose à Rimbaud d’ aller seconder le gérant dans le comptoir qu’il vient d’établir à Harar.
Il confie aux siens son désarroi et son intention d’aller plus loin, vers Zanzibar, destination récurrente et idéale mais où finalement il n’ira jamais. Il a perpétuellement le sentiment d’être exploité, volé, escroqué et traduit l’acrimonie contre son employeur dans ses correspondances.
Quand on se penche sur les lettres que Rimbaud écrit, au delà de ce que cela nous apprend factuellement, on reconnaît bien son ironie quasi perpétuelle. Le Rimbaud des années 1871-1872 maniait déjà le sarcasme, et on peut remarquer que les saillies de l'employé de Bardey et ses considérations tant sur son patron que sur les indigènes et même les affaires politiques éthiopiennes font écho au ricanement impertinent du poète lorsqu'il perturbait le dîner des Vilains Bonshommes.
Un autre écho de cette jeunesse est la facilité qu'a Rimbaud pour les langues. Comme Alfred Ilg, Rimbaud a entrepris d’apprendre la langue locale de même que l’arabe et l’oromo.
En mars 1881, Bardey charge Rimbaud de mener des expéditions commerciales dans le pays dont il revient à chaque fois exténué, parfois malade et souvent déçu.
En 1882, de retour à Aden, Rimbaud supporte mal le style de vie coloniale ainsi que le climat. Il est vrai qu’Aden est situé dans le cirque d’un cratère volcanique éteint mais ce n’en est pas moins une fournaise.
Dans une lettre écrite en 1883, Rimbaud confie ses souhaits de fonder une famille, d’avoir un fils qu’il éduquerait pour en faire un ingénieur. Signe que les sciences et techniques l’attirent toujours, dix ans après une « Saison en Enfer » où il mettait déjà la Science au-dessus de tout, le seul salut de l’Homme.
Il commande par ailleurs à sa mère de lui faire parvenir du matériel ainsi que des livres techniques très pointus pour ingénieur en génie civil.
Sa frustration intellectuelle l’obsède, même si on peut le soupçonner de souffrir d’un complexe de supériorité. La réalité est qu’en dehors de conversations philosophiques avec le père Joachim et l’explorateur Jules Borelli, les occasions pour Rimbaud de satisfaire sa soif de savoir sont rares. Il songe toujours à partir pour Zanzibar, ou bien au Tonkin, ou même à Panama où le canal est en construction.
En janvier 1884, Rimbaud annonce à sa famille la fermeture de l’agence à Harar, la compagnie Mazeran, Viannay, Bardey et Cie ayant fait faillite en France. Rimbaud se retrouve donc sans emploi à Aden.
En juillet, Alfred Bardey réussit à remonter une entreprise et reprend Rimbaud jusqu’à décembre 1884.
En janvier 1885, faute de mieux, et malgré des affaires peu florissantes, Rimbaud accepte de prolonger son contrat pour Bardey avec qui les relations se dégradent.
C’est en septembre 1885 qu’il se voit proposer un marché de ventes d’armes par Pierre Labatut dont le destinataire est le roi du Choa Ménélik. Le roi abyssin commande légalement des armes à plusieurs marchands mais les règles commerciales fixées par les Britanniques sont soumises à de fréquents changements, rendant ce commerce souvent illégal.
Pierre Labatut meurt de maladie en décembre 1886, laissant Rimbaud mener seul la livraison à Ménélik. Et quand Rimbaud arrive enfin devant le roi en février 1887 ce dernier lui répond ne plus en avoir besoin, arguant que les armes livrées sont dépassées, mais accepte de les prendre toutefois au titre du règlement d’une dette de l’associé de Rimbaud, Labatut qui hélas n’est plus là pour confirmer ou contester. C’est une très mauvaise opération pour Arthur Rimbaud.
Ménélik a entretemps été séduit par les avances diplomatiques des Italiens et de leur ambassadeur Pietro Antonelli qui souhaitent le voir monter sur le trône d’empereur d’Ethiopie après avoir vaincu son suzerain le roi Johannès. Les Italiens, disposés à fournir des armes modernes à prix cassés, sont des concurrents imbattables pour Rimbaud et même Alfred Ilg qui commerçait lui aussi avec le roi en lui revendant des fusils réformés de l’armée Suisse.
L’interposition des Italiens dans les affaires éthiopiennes a eu d’ailleurs pour effet d’évincer l’ingénieur suisse des affaires politiques. C’est dans ce contexte qu’Arthur Rimbaud et Alfred Ilg ont été amenés à se rencontrer à Entoto en avril 1887.
En été 1887, Rimbaud passe quelques semaines au Caire pour se reposer. Dans une lettre à sa famille, il mentionne pour la première fois de fortes douleurs, souvent paralysantes, signes avant-coureurs de la maladie qui l’emportera.
A partir de janvier 1888, Ilg et Rimbaud entretiennent une correspondance assidue et c’est au travers de ces échanges dont le sujet tourne essentiellement autour des affaires commerciales qu’on peut mesurer leur estime réciproque.
Ilg apprécie la tournure d’esprit de Rimbaud, et a détecté chez lui un tempérament qui est pourtant assez éloigné de ce que Rimbaud montrait si on se réfère aux témoignages de ceux qui l’ont côtoyé dans ces régions. Ilg écrit à Rimbaud depuis Zurich où il passe neuf mois en 1888. Si nous connaissons aujourd’hui le contenu bilatéral de cette correspondance, c’est grâce à la rigueur méticuleuse d’Alfred Ilg qui recopiait en double les lettres qu’il écrivait, gardant une trace de ce qu’il avait envoyé.
Rimbaud et Ilg nourrissent des projets en communs, notamment celui de construire des usines au Choa, afin de faire travailler les Ethiopiens, et d’œuvrer à favoriser une fabrication locale.
1889 va être une année cruciale. Les Italiens ont livré leurs armes, avec 400 000 munitions à bas prix tandis que Rimbaud cherche toujours à écouler ses armes obsolètes : 1750 fusils à capsules et 20 Remington.
Le coup de théâtre va venir de la mort inattendue de l'empereur Johannès dans une opération militaire contre les rebelles Madhistes. S’il n’y a plus de guerre, Ménélik II n’a plus besoin des Italiens. Mais ces derniers ne se laissent pas évincer si simplement. Le 2 mai 1889, ils font signer à Ménélik le traité d’Uccialli qui place son pays sous la tutelle italienne grâce à une subtilité de traduction entre l’Amharique et l’Italien. Informé de l’arnaque par Ilg, Ménélik II veut faire annuler le traité. Les Italiens refusent. Ilg revient en grâce auprès du Négus. Il recevra le titre de Commandeur et sera décoré de l’ordre de Salomon. Le 3 novembre 1889, Ménélik est couronné empereur sous le titre de Négusa Nägäst (roi des rois).
Les affaires vont pouvoir reprendre mais ce n’est pas aussi simple. Dans une lettre à Rimbaud, Ilg lui explique qu’il ne peut pas vendre son « bazar » aussi facilement que Rimbaud le souhaiterait.
Ilg sait qu’il peut parler franchement avec Rimbaud et même démêler des malentendus, comme celui d’une lettre où Rimbaud demandait à Ilg de lui trouver une mule et deux esclaves pour son service. Cette lettre a fait couler beaucoup d’encre et causé la fausse réputation d’un Rimbaud esclavagiste. Ilg a de toutes façons refusé tout en rendant hommage aux « bonnes intentions » de Rimbaud. On le sait bien, c’est plus le témoignage d’un écart de langage de Rimbaud que celui d’une activité de traite négrière, il y a un fossé entre le souhait de requérir à une paire de manutentionnaires probablement sous-payés et la traite des esclaves qui était exclusivement réservée aux Yéménites et strictement interdite aux Européens. Un blanc n’aurait pas survécu une journée si par malheur il s’était livré à ce commerce.
En 1890, Rimbaud confie aux siens : « je me porte bien dans ce sale pays » signe que ça ne va pas si bien que ça. Il avoue se sentir vieillir et compare ses cheveux blanchis aux perruques poudrées de l’Ancien Régime. Il doit certainement ressentir des douleurs osseuses mais n’en fait pas état à Alfred Ilg. Le mal-être de Rimbaud nous démontre qu’il poursuit indéfiniment sa route sur le « long et raisonné dérèglement de tous les sens ».
En janvier 1891, Ilg annonce à Rimbaud son départ pour la Suisse, prévu à la fin mars. Il espère rencontrer Rimbaud à Harar : « J’aurai probablement à vous proposer une bonne affaire et sûre ». On sait que les deux hommes ne se reverront plus. Tandis que les problèmes de santé de Rimbaud s’aggravent, il est évacué vers la côte le 7 avril 1891.
Le 20 mai, il est débarqué à Marseille où on l’ampute de sa jambe droite.
Il rentre à Roche le 20 juillet. Mais sa convalescence se passe mal, son état empire. Il retourne le 20 août à Marseille où il espère se soigner et surtout être à proximité du port pour repartir à Aden dès qu’il se sentira mieux. Mais la maladie s’est propagée et il meurt le 10 novembre, le lendemain même d’une lettre où il donnait des instructions pour son embarquement.
Alfred Ilg n’apprend le décès de Rimbaud qu’en 1892. Il en fait état dans une lettre peu empathique quant au sort de Rimbaud.
L’empereur Ménélik II donne son accord en 1894 pour la construction de la ligne de chemin de fer qui doit relier la capitale Djibouti à Addis Abeba. La Compagnie impériale des chemins de fer Ethiopiens est fondée cette même année. Mais les travaux vont être retardés par les Italiens qui déclarent la guerre au Négus en 1895.
Les Italiens seront défaits à la bataille d’Adoua en 1896. On pense qu’Alfred Ilg a pu jouer un rôle en faisant retarder des renforts italiens bloqués à Port-Saïd. La guerre se termine par un traité de paix entre l’Italie et l’Ethiopie dont le texte a été rédigé par Ilg.
En mars 1897, Alfred Ilg reçoit l’Etoile d’Éthiopie, plus haute distinction de l’époque. Seuls deux autres étrangers, un Français et un Russe, en ont été honorés. La même année, les travaux commencent enfin, mais les difficultés s’accumulent. Les ouvriers abyssins qui viennent des hauts plateaux d’Éthiopie peinent dans le désert plat et rocailleux où le premier tronçon est construit. La construction est coûteuse, et la France qui finance n’est pas très motivée puisqu’elle n’est pas directement concernée en tant que pays colonisateur dans cette région. Les puissances européennes voient aussi d’un mauvais œil l’œuvre d’ Alfred Ilg, un ingénieur indépendant de son pays, et qui permet à Ménélik de s’affranchir de l’influence des pays colonisateurs, d’autant que Alfred Ilg s’est fait offrir par l’empereur des terrains à chaque extrémité de la ligne, coupant l’herbe sous le pied aux convoitises extérieures. Soucieux de cette délicate situation diplomatique, le Négus ne se rendra pas à l’inauguration du premier tronçon (Djibouti-Diré Daoua) en 1903.
Alors que les travaux du deuxième tronçon doivent débuter, la France marque le pas dans le financement. Sentant là une opportunité de s’implanter dans la région, les Britanniques se manifestent, ce qui va réveiller l’intérêt des Français, fondant dans la foulée la Compagnie Impériale du chemin de fer Franco-Ethiopien. La reprise effective des travaux a lieu en 1911 avec le tronçon allant de Dire Daoua à Haouache. Le pont ferroviaire sur l’Haouache est l’œuvre d’Ilg.
Le dernier tronçon sera achevé et la ligne Djibouti-Addis Abeba, inaugurée le 9 mai 1917 ce qu’Alfred Ilg ne connaîtra pas car il meurt en Suisse le 7 janvier 1916 à 61 ans. La construction de la ligne de chemin de fer reste la grande ambition et la grande œuvre d’Alfred Ilg. Il en est le concepteur.
Ce sont les lettres échangées entre Alfred Ilg et Arthur Rimbaud qui ont permis de reconstituer la nature de leurs relations, qu’elles soient amicales ou professionnelles. Elles éclairent également le contexte géopolitique et social dans lequel les deux hommes ont évolué. Toutes ces lettres ont été conservées par la famille d’Alfred Ilg. Celles de Rimbaud à Ilg ont été remises en 1959 par son petit-fils, Dieter Zwicky à Jean Voellmy qui a entrepris de les étudier.
Les recherches ont consisté notamment à approfondir certaines informations et identifier les noms de toutes les personnes citées par Rimbaud et par Ilg. Plus tard, Mme Zwicky-Ilg, fille d’Alfred Ilg, a remis à Jean Voellmy les lettres de son père (qu’il recopiait toujours) à Rimbaud. Parmi celles-ci, se trouvait une lettre de la main de Rimbaud datée d’avril 1890, encore cachetée et qui portait sur l’enveloppe la mention en allemand « N’a pas été délivrée par ordre de R. »
Jean Voellmy l’a ouverte le plus soigneusement possible et a pu la lire.
Rimbaud y réclamait encore 4000 thalaris en dédommagement de sa mévente de fusils. Il recevra à la place 11480 kg de café qu’il ne savait pas comment écouler correctement et 675 fraslehs.
En 1965, Jean Voellmy a publié la correspondance d’Alfred Ilg et Arthur Rimbaud. Cette correspondance, revue en 1995, figure aujourd’hui intégralement dans la dernière édition de la Pleïade.
La stratégie de Rimbaud pour la publication du Bateau ivre.
Dans l'article précédent, il a été montré que Rimbaud a vraisemblablement écrit son poème Le Bateau ivre pendant l’hiver, au début de 1872, soit au plus tard vers le 20 mars 1872. L’idée la plus répandue étant celle d’une écriture du poème fin septembre 1871.
Rimbaud, nous disait Antoine Adam, dans la seconde Pléiade attendait plus que de tout autre poème la gloire. Mais pour obtenir cette gloire, il fallait être publié. Or les poètes avaient l’opportunité d’être publiés après les évènements de la guerre et de la Commune dans la revue La Renaissance littéraire et artistique dont le premier numéro paru en avril 1872. Dès lors, on peut penser qu’il était dans les projets de Rimbaud d’être publié dans cette revue. Lorsque Rimbaud écrit dans sa lettre à Delahaye en juin 1872 de chier sur La Renaissance littéraire et artistique, on peut penser qu’il était déçu que son poème Le Bateau ivre n’y soit pas publié. On a longtemps cru que ce désappointement concernait le sonnet des Voyelles, mais si l’on admet la date tardive de la composition du poème, on peut comprendre que c’est la non-publication du Bateau ivre qui suscite la déception de Rimbaud. Or, ceci amène à une compréhension nouvelle de ce poème.
Si Rimbaud voulait être imprimé dans La Renaissance, il fallait avoir une stratégie. Il savait que la revue était hugolâtre (voir la lettre de Victor Hugo en tête de notre article). Son poème devait donc rendre un hommage déguisé à Hugo. Il était important que les lecteurs de La Renaissance ne connaissent pas ses attaques contre Hugo qui s’étaient formulées violemment dans le poème L’Homme juste. Ainsi, quand il parle des flots « Qu’on appelle rouleurs éternels de victime » c’est une allusion transparente à Océano Nox qui peut passer pour un hommage au poète de Guernesey. Son poème devait donc être écrit dans le style hugolien d’alexandrins bien frappés aux rimes riches. On a d’ailleurs relevé depuis longtemps que les poèmes Pleine Mer et Plein Ciel de La Légende des Siècles étaient des intertextes majeurs pour le poème. Mais Rimbaud n’avait pas du tout la même opinion que Hugo sur la Commune. Le poème d’Hugo dans Le Rappel du mois de novembre a pu être un déclencheur comme je l’ai signalé. On sait aujourd’hui grâce à de fines analyses que son poème est une allégorie de la Commune. Mais il fallait à l’époque un oeil exercé pour comprendre les allusions discrètes, par exemple la mention du mois de mai, qui était une date de la répression des communards.
Malheureusement, sa stratégie a échoué pour des raisons connues. Il y avait eu l’incident Carjat qui en avait refroidi plus d’un et aussi l’intimité avec Verlaine qui commençait à se savoir et qui ne plaisait pas à tout le monde. En atteste le refus d’Albert Mérat de poser avec Rimbaud au Coin de table de Fantin-Latour.
En juin 1872, Rimbaud avait pu lire dans La Renaissance le 11 mai un immense poème de près deux cents alexandrins d’Émile Blémont, le 18 mai un poème de Verlaine intitulé Romance sans paroles, un poème de Valade, Don Quichotte, d’une cinquantaine d’alexandrins, un long poème en prose de Charles Cros, Le Meuble. Il avait donc lieu d’être déçu s’il avait espéré voir son poème imprimé.
On peut penser que Rimbaud avait pu donner son poème à Léon Valade, très proche de Blémont, pour qu’il lui transmette. Il n’est pas inutile de remarquer que c’est à Valade que Verlaine s’adresse en 1881 pour lui demander copie du « Vaisseau ivre ».
En conclusion Rimbaud se dresse dans le Bateau ivre en rival de Hugo le grand poète de l’Océan qu’il voyait tous les jours pendant son exil. Rimbaud oppose sa vision d’un océan qu’il n’a jamais vu, mais qu’il décrit avec un éblouissement d’images justement admirées. On ne peut comprendre le poème que dans cette perspective.
Les 150 ans du Bateau ivre
Il est question de fêter cette année les 150 ans du Bateau ivre de Rimbaud.
Il faut d’abord tenter de donner une date à la création du poème et être sûr qu’il a bien été écrit en 1871. Pendant longtemps on a pensé que Le Bateau ivre avait été écrit à Charleville juste avant le départ de Rimbaud pour Paris en septembre 1871. On se basait sur le récit de Delahaye qui aurait été témoin de son départ à Paris. Plusieurs témoignages de Delahaye indiquent que Rimbaud a écrit Le Bateau ivre avant son départ de Charleville pour aller chez Verlaine. Le témoignage le plus cité est celui qu’il a écrit en 1923 dans Rimbaud l’Artiste et l’être moral page 40-41 :
La veille de son départ — fin septembre 1871 — Rimbaud me lit Bateau ivre.
« J'ai fait cela, dit-il, pour présenter aux gens de Paris ». Comme je lui prédis alors qu'il va éclipser les plus grands noms, il reste mélancolique et préoccupé : « Qu'est-ce que je vais faire là-bas ?... Je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler... Oh ! pour la pensée, je ne crains personne {sic)... »
Il a aussi donné un témoignage du même genre en 1908 dans la Revue d’Ardennes et d’Argonne. Bouguignon et Houin reportent les mêmes souvenirs de Delahaye en 1897. Donc Delahaye n’a jamais varié dans ses souvenirs et on a largement cru à son témoignage.
Cependant la critique récente a remis en doute ce récit car dans plusieurs cas la fiabilité des témoignages de Delahaye laissait à désirer.
André Guyaux dans la Pléiade fait remarquer que rien n’est établi précisément quant à la datation du Bateau ivre, et que l’on peut douter, avec Marcel Ruff, de la reconstitution d’Ernest Delahaye et de la tentation de faire du Bateau ivre le passeport du jeune poète arrivant à Paris . Il ajoute qu'un dessin d’André Gill, probablement détaché de l’Album zutique et montrant le jeune poète à la proue de son bateau suggère que le poème était connu à la fin de 1871 (Pléiade, p.868).
Il faut ajouter que parmi les témoins de l’arrivée de Rimbaud à Paris, aucun n’indique que Le Bateau ivre a été lu à la séance où Rimbaud a été présenté aux poètes parisiens. Verlaine qui a fait connaître le poème dans les Poètes maudits ne donne aucune indication de date précise. Le manuscrit écrit par Verlaine n’est pas daté.
David Ducoffre propose la date de fin octobre-novembre 1871 dans un article publié sur ce blog où il écrit :
« La description de la vie des prisonniers sur les pontons était d’actualité dans la presse en septembre-novembre 1871 et une section Epaves de la Commune relataient les arrestations et aventures de communards en fuite dans Le Moniteur universel, ce qui est à rapprocher de la mention finale des « pontons » et de la volonté d’une quille qui éclate. Le poème est probablement postérieur à la première représentation de la pièce Fais ce que dois de Coppée qui prend à partie les communards en rappelant la devise de la ville de Paris Nec fluctuat mergitur, mais postérieur aussi au procès en octobre du très jeune communard Maroteau que la défense présentait comme quelqu’un s’étant lancé dans la Commune en poète. Un extrait du Figaro du sept octobre raille cette défense, nous l’avons citée dans un autre article du blog Rimbaud ivre : « Du nouveau sur l’Album zutique : en feuilletant Le Moniteur universel ». Ces éléments de datation nous paraissent fort plausibles dans la mesure où ils éclairent certains motifs du poème de véritables intentions du poète, et cela par la prise en compte d’une actualité qui continuait de traiter de la Commune des mois après la Semaine sanglante. En tout cas, l’idée que Rimbaud ait lu Le Bateau ivre lors du dîner des Vilains Bonshommes du 30 septembre n’est fondée sur rien. Le témoignage suspect de Delahaye se contentait d’avancer que Rimbaud emportait cette composition à Paris pour épater les Parnassiens. »
Le 21 avril 2014 je publiais : Rimbaud et la Commune. Hypothèses sur la genèse et la date de conception du « Bateau ivre » et de «L’Homme juste » dans lequel je suggérais que la date de composition du Bateau ivre était probablement postérieure à la parution d’un poème inédit de Victor Hugo publié dans Le Rappel le 20 novembre1871.
Un autre argument qui va dans le sens d’une écriture plus tardive du poème est l’expression du Bateau ivre « Moi l’autre hiver,...» qui suggère que le poème a été écrit en hiver et non en septembre comme le prétendait Delahaye.(L’autre hiver, c'est celui de 1870 quand Rimbaud est allé à Paris pour la première fois.)
On ne peut alors exclure complètement l’hypothèse que le poème ait été écrit début 1872, au moment où Rimbaud logeait rue Campagne-Première avec Forain.